L'ARGENT DE TROC DANS LA CULTURE INDIENNE N. Jaye Goossen La traite des fourrures en tant qu'échange culturel Ce fut d'abord pour se manifester réciproquement leurs bonnes intentions que les Indiens d'Amérique du Nord et les Européens, à l'occasion de leurs premières rencontres, échangèrent des peaux de castor contre des bijoux, des miroirs et des vêtements. Mais la mode du castor se répandant rapidement en Europe, et les articles européens venant étancher des besoins ressentis comme tels par les Indiens, ces échanges se multiplièrent et adoptèrent des formes de plus en plus complexes. La traite de la fourrure, qui devait prendre ultérieurement des proportions considérables, était donc contenue en germe dans les tout premiers contacts; elle était appelée à modifier de façon majeure le mode de vie des habitants de l'Amérique du Nord. Le développement de ce commerce entraîna les marchands au coeur du continent, ouvrant ainsi les grandes voies de transport et de communication sur lesquelles devaient s'élancer plus tard les colons. Dès l'instant où la traite des fourrures introduisit ainsi la technologie et les articles de l'Occident dans les cultures autochtones d'Amérique du Nord, il devenait inévitable que le genre de vie des Indiens subisse de profondes modifications. La traite de la fourrure donna lieu à un échange culturel fort complexe, dans lequel les Indiens tinrent un rôle aussi important que leurs partenaires européens. Avant même l'arrivée de ceux-ci, les Indiens échangeaient déjà entre eux des fourrures ainsi que d'autres objets. Du XVIe au XVIIIe siècle, le don était considéré par plusieurs groupes autochtones comme un élément majeur des relations sociales et politiques. Les chefs remettaient parfois des cadeaux à leurs peuples. On en donnait également aux parents dont les enfants venaient de se faire attribuer un nom. Mariages et décès s'accompagnaient aussi de dons. Dans ces diverses circonstances, on considérait l'objet donné plus éloquent que ne l'auraient été des mots. Ce phénomène prenait beaucoup d'importance dans les relations inter-tribales ou encore inter-confédérations; c'est par des échanges de ceintures wampum, de peaux de castor ou de calumets de paix que les guerres étaient déclarées, les trêves demandées, les traités de paix acceptés et les alliances consolidées. À eux seuls, les mots ne suffisaient pas à enterrer la hache de guerre. Les Européens ne tardèrent pas à tirer profit de cette coutume. Des échanges de castor et de wampum permirent aux Anglais et aux Français de s'allier respectivement aux Iroquois et aux Hurons. D'après des témoignages anglais et iroquois, leur alliance était symbolisée par une chaîne d'argent reliant un navire anglais à l'arbre de paix des Iroquois. L'argent avait été retenu parce que, contrairement au fer, il ne se détériore pas. Cette "chaîne d'alliance," comme on l'appelait alors, était polie à chaque année, et l'alliance elle-même renouvelée périodiquement par des échanges de cadeaux entre les deux partenaires. De cérémonial diplomatique qu'il était au début, cet échange de dons devint peu à peu une véritable entreprise économique. À travers cette transformation, il prit des formes redevables aussi bien aux Indiens qu'aux Européens. Bien que ces derniers ne les aient pas toujours très bien évaluées, les aspirations indiennes eurent un impact certain sur la nature des articles qu'on leur offrit en échange de la fourrure. Le succès d'un traiteur reposait le plus souvent sur la connaissance qu'il pouvait avoir des besoins et des goûts spécifiques des gens vivant sur son territoire; il avait tout intérêt à s'y conformer pour assurer une paix durable et, partant, la pérennité de ses succès commerciaux. Mais la recherche du profit imposait également un certain nombre de contraintes à ce commerce avec les Indiens. Ainsi les compagnies évitaient d'offrir à ceux-ci des quantités considérables d'articles de valeur. La même restriction touchait les objets trop gros, en raison des énormes distances à parcourir sur les rivières et sur la mer, pour rejoindre les marchés européens. C'est pourquoi les babioles s'avérèrent les articles les plus économiques, tant par rapport à leur valeur intrinsèque que pour les coûts de transport. Durant plus de trois siècles de traite de la fourrure, une grande variété d'articles sont venus satisfaire aux exigences de chacun des partenaires, tout en modifiant considérablement le mode de vie de l'Indien. Ce dernier développa un grand intérêt pour des denrées alimentaires nouvelles, comme le sucre, le thé et la farine. Il en fut de même pour divers articles domestiques: bouilloires de cuivre, pots de fer, cuillères, ciseaux, couteaux et aiguilles. Nouvelles armes et outils nouveaux (fusils, haches, hameçons et pièges) augmentèrent le nombre de prises de chaque chasseur. Mais les effets destructeurs des conflits inter-tribaux furent également décuplés par l'introduction du fusil et, pour ce qui est des Indiens des Plaines, du cheval. Les perles de verres, les clochettes ainsi que diverses breloques en métal enrichirent les parures traditionnelles. Il est jusqu'aux habitudes vestimentaires indiennes qui subirent l'influence du costume européen. La traite de la fourrure ne fut donc en aucun cas une activité à sens unique; les Indiens y jouèrent un grand rôle. Leurs exigences présidèrent, dans une certaine mesure, au choix des articles offerts par les Européens avides de fourrure. Très souvent, ils transformèrent ces articles occidentaux en vue de leur conférer un usage jusque-là inédit, leur attachant même parfois une valeur symbolique que n'auraient pu soupçonner leurs usagers d'Europe. C'est ainsi que des ustensiles de cuisine devinrent des éléments décoratifs. On voit donc comment des objets de fabrication occidentale acquirent, à travers de tels échanges trans-culturels, des caractéristiques authentiquement indiennes. Rien de tel que l'argent de troc, pour illustrer cet entrelacement d'influences européennes et indiennes sur le destin des objets échangés. Les bijoux d'argent étaient inconnus des Indiens dits de la forêt avant l'arrivée des Blancs; ils le virent pour la première fois entre les mains de ceux venus leur en offrir pour marquer leurs intentions pacifiques. Ces bijoux revêtirent une grande valeur commerciale aux XVIIIe et XIXe siècles. Fabriqués alors spécialement en vue du commerce de la fourrure, ils étaient décorés de motifs d'inspiration vraisemblablement autochtone, prenant même parfois la forme d'articles décoratifs non-métalliques que les Indiens produisaient déjà avant l'arrivée des Blancs en Amérique (bandes portées aux jambes et aux bras). Plusieurs Indiens se mirent à considérer de tels ornements en argent comme des biens de prestige. Ils les comptaient ainsi au nombre de leurs possessions les plus précieuses, et se faisaient fort de les porter sur eux lors des grandes occasions, voire même de leur reconnaître une certaine valeur rituelle. Quelques-uns en vinrent même à façonner leurs propres bijoux, donnant ainsi naissance à une orfèvrerie dont on ne peut dire qu'elle soit ni purement autochtone, ni purement européenne. Origine du troc de l'argent Le plus ancien rapport relatant l'usage de ce métal précieux, dans les relations entre Blancs et Indiens en Amérique du Nord, remonte à 1661. La colonie de Virginie avait alors offert des médailles d'argent à des Indiens dits "amicaux." Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, des médailles portant l'effigie des rois Louis XIV et Louis XV de France furent données aux alliés indiens de l'empire français, tandis que des médailles portant le sceau des monarques britanniques se retrouvèrent pendues au cou de chefs d'autres tribus, en particulier ceux des Iroquois. Les Indiens saisirent peut-être la valeur symbolique réservée à ces médailles par ceux qui les leur offraient ainsi; il est toutefois possible que d'autres motifs aient présidé à leur grand empressement à les accepter. Quoiqu'il en soit, l'usage consistant à honorer ainsi les chefs des tribus amies se répandit très rapidement. Dans l'état actuel des connaissances, la plus ancienne de ces médailles spéciales fut émise en Virginie en l'an 1670; elle avait pour but de permettre l'identification des Indiens alliés qui avaient accès aux divers villages coloniaux. On produisit assez tôt de telles médailles en Europe et en Amérique; très peu cependant, sinon aucune, furent fabriquées au Canada. Les médailles de fabrication britannique étaient de dimensions variées, les plus grandes revenant aux chefs les plus importants, les plus petites étant destinées aux personnes de rang inférieur. Parallèlement à la détérioration des relations franco-anglaises en Amérique du Nord, la valeur stratégique de ces alliances entre Indiens et Européens prenait de plus en plus d'importance. Les chefs de guerre indiens se virent alors offrir des gorgerins d'argent, vestiges décoratifs des anciennes armures, portés par les officiers venus d'Europe. Gravés aux armoiries du roi, ces gorgerins étaient considérés par les Indiens comme des signes de prestige et de rang élevé. Le titre de "capitaine à gorgerin" de l'armée britannique fut conféré à des chefs indiens, au XVIIIe siècle, par les Anglais. C'est ainsi que le capitaine Joseph Brant (Thayendanega), qui donna son nom à la ville ontarienne de Brantford, fut décoré par le roi George III pour ses initiatives militaires en faveur de la couronne, durant la révolution américaine. Il y eut occasionnellement des présentations tout à fait particulières d'objets d'argent. C'est ainsi que, en 1710, quatre chefs indiens furent présentés à la cour d'Angleterre; John, Nicholas, King Hendrick et Brant reçurent, des mains de la reine Anne elle-même, un ensemble en argent pour la communion. Ils le déposèrent à leur retour en Amérique dans la chapelle dédiée à Sa Majesté, qui se trouve chez les Mohawks de Fort Hunter. Quand les Iroquois restés fidèles à la couronne anglaise quittèrent l'état de New York, suite à la révolution américaine, ce trésor en argent fut transporté au Canada et réparti entre le groupe ayant décidé de s'installer à Brantford et celui ayant élu résidence à la baie de Quinte. Encore en usage dans les cérémonies religieuses, ces pièces devinrent en ces lieux le témoignage concret de la loyauté tenace des Mohawks envers la couronne d'Angleterre. Également pour créer et consolider leurs alliances avec les tribus indiennes, les autorités coloniales distribuèrent bon nombre de petits objets d'argent: broches, boucles d'oreilles, pendentifs portés au nez, bracelets, croix, bagues et gorgerins circulaires ou de forme lunaire. De telles babioles reproduisaient le plus souvent des objets décoratifs d'inspiration indienne. Les gorgerins circulaires, par exemple, n'existaient pas en Europe; ils furent conçus pour imiter ces coquillages en forme de lune que les Indiens arboraient sur la poitrine. Les boucles d'oreille et les pendentifs naseaux jusque-là taillés à même des coquillages, les bandeaux de tête, de bras et de jambes faits jadis en cuir et en laine par les Indiens, tous ces objets furent dès lors fabriqués en argent. Les croix, cependant, étaient nettement d'origine européenne. Production et distribution de l'argent de troc Dès l'instant où les Européens mesurèrent l'immense popularité de ce précieux métal, ils se rendirent compte de sa pertinence ainsi que de sa valeur rituelle pour les activités commerciales. C'est alors que s'intensifia la circulation de l'argent entre les diverses tribus indiennes. L'importation ne suffisait plus; les orfèvres du Nouveau Monde durent suppléer au manque d'articles en argent. Dès 1760, les artisans canadiens avaient ajouté à leur production ordinaire d'objets profanes et religieux, la fabrication d'articles en argent destinés à la traite des fourrures. Un trafiquant de Détroit nommé Duperon Baby écrivait, en 1759, a son frère François habitant alors Québec, lui demandant de faire une commande de bijoux d'argent pour son commerce de fourrure. C'est à Jonas Schindler, un orfèvre d'origine allemande bien connu à Québec, que fut transmise la commande de "cent paires de pendants d'oreille et de vingt-quatre boucles d'oreille." L'argent devait "être mince et bien poli, quoique encore susceptible d'être gravé." Ce fut là le premier argent à être effectivement troqué contre des fourrures indiennes. L'expression "argent de troc" fut dès lors utilisée, pour désigner toutes les parures d'argent indiennes de cette époque. L'orfèvre canadien disposait de deux méthodes pour fabriquer ainsi des babioles destinées au troc, à partir des pièces de monnaie européenne alors en usage au Canada. Il pouvait marteler les pièces en vue de leur donner la forme d'un disque mince. Mais il pouvait aussi les faire fondre, y ajouter du cuivre au besoin afin d'en augmenter la résistance, et enfin les pilonner ou encore les presser pour obtenir des feuilles minces. C'est dans de telles feuilles qu'il taillait ensuite les gorgerins, les croix, les bandes, les bracelets, les perles et les haches, donnant à chaque pièce la forme souhaitée et l'ornant de motifs gravés ou perforés. Il lui arrivait exceptionnellement de mouler des petites figurines de castor, de loutre ou d'autres espèces animales. L'article terminé portait parfois le poinçon de son auteur, mais il n'y avait souvent aucune signature, l'orfèvre ayant tendance à dévaloriser ce genre de production spéciale. Entre 1760 et 1820, les babioles d'argent étaient très répandues dans certaines régions du pays. Les commerçants de Montréal s'en approvisionnaient en Ontario, au Québec même et, occasionnellement, dans les Maritimes. Après 1790, la Compagnie de la Baie d'Hudson reçut de Londres les articles d'argent qui lui étaient nécessaires dans certains de ses postes de traite. Les tribus suivantes reçurent fréquemment de l'argent, en échange de leurs fourrures: 1. les Indiens dits de la forêt dans la région des Grands Lacs: Hurons, Ojibwas, Algonquins, de même que les cinq nations formant la Ligue Iroquoise (Mohawk, Oneida, Onondaga, Cayuga et Seneca), 2. les Indiens de la côte atlantique: Abénaquis, Malécites et Micmacs, 3. les orfèvres iroquois et delaware portèrent leurs techniques jusqu'aux tribus algonquiennes vivant dans les plaines du centre de l'Amérique du Nord. On trouve encore aujourd'hui des gens qui pratiquent cette forme traditionnelle d'artisanat, notamment chez les Iroquois, les Cheyennes, les Pawnes et dans certains groupes de l'Oklahoma. Usage et signification de l'argent de troc dans la culture matérielle des Indiens Il semble bien que les Indiens d'alors considéraient l'argent comme le symbole d'un rang social élevé; plus un chef en garnissait son costume cérémoniel, plus son prestige s'en trouvait accru. Mais les chefs n'étaient pas les seuls à s'en parer ainsi; de nombreuses autres personnes portaient elles aussi des ornements qui, tout en étant d'argent, étaient cependant de confection plus sobre. Outre la simple broche circulaire connue sous le nom de "boucle de poitrine," des broches de dimension variée avaient la forme d'un coeur soit simple soit double, de motifs géométriques ou encore maçonniques, de motifs perforés circulaires et complexes, d'étoiles à pointes multiples, de carrés de conseil. On en portait parfois jusqu'à des douzaines a la fois fixées non seulement aux vêtements de corps, mais également aux cheveux, à la coiffure, à la ceinture ou encore aux langes des enfants. À chaque oreille étaient également suspendus un grand nombre d'anneaux. Les Iroquois appréciaient tout particulièrement un certain type de pendentif long d'environ un pouce, fait d'une feuille d'argent enroulée sur elle-même en forme de cône; ils s'en accrochaient plusieurs a chaque oreille. Les Indiens dits de la forêt préféraient au contraire, comme pendants d'oreille, des disques ajourés de motifs divers. Plusieurs formes de bandeaux étaient alors en vogue, les plus connus étant portés aux bras, aux jambes, aux poignets et autour de la tête. Les orfèvres produisaient ces bandeaux à partir de minces feuilles d'argent, dont la largeur variait entre 1 et 7 pouces. Ils étaient ensuite maintenus en place au moyen de lacets en cuir ou en fibre végétale. Les Indiens aimaient aussi porter un ou deux bandeaux au milieu de la partie supérieure du bras, au poignet, à la cheville ou encore au mollet. Les bandeaux de tête étaient peut-être les moins répandus et généralement les plus décorés. Certains se présentaient sous la forme d'une couronne, d'autres tenaient plutôt lieu de rubans décoratifs sur les chapeaux d'homme de type européen. Le plus ancien argent de troc s'est vraisemblablement présenté sous la forme de croix. Les premiers missionnaires français en Amérique du Nord distribuèrent à leurs néophytes des croix et des crucifix. La traite de la fourrure transforma ces objets de piété en articles de toute première valeur pour les échanges commerciaux, les vidant en même temps de leur dimension religieuse. C'est tout particulièrement la croix qui, grâce à sa valeur marchande, a beaucoup circulé, et ce jusqu'au XIXe siècle. On en a trouvé à une ou deux traverses, de dimension variée et plus ou moins décorées. Les Indiens les portaient soit en sautoir sur la poitrine, soit comme broche ou comme pendants d'oreille. Les berceaux, les sacs et les coiffures étaient également décorés d'argent. On appréciait beaucoup les colliers à grains d'argent. Des représentations zoomorphes étaient portées en sautoir ou encore comme broches. Les Indiens inventèrent ainsi plusieurs utilisations très astucieuses de l'argent pour leur culture matérielle. On ne sait rien de précis quant aux préférences des diverses tribus pour certains types de décorations d'argent. Les motifs qui y étaient gravés ou ajourés pourraient cependant permettre d'en déterminer les propriétaires. Les premiers objets d'argent étaient ainsi souvent gravés; des efforts évidents furent faits pour retenir l'attention des Indiens au moyen de scènes de leur vie courante, ou encore de scènes relatant leurs rencontres commerciales avec leurs partenaires blancs. Les représentations animales retrouvées sur les articles en argent tiennent tantôt de l'imagination, tantôt de la réalité zoomorphique; elles évoquent à bien des égards les emblèmes de plusieurs chefs, ou encore les totems des clans iroquois comme la tortue, l'ours et le loup. Les motifs floraux, les feuilles et branches d'arbres typiques des forêts de l'est, constituaient autant de décorations hautement appréciées. Nous ne savons pas encore très bien comment des ornements d'argent fabriqués par des artisans canadiens ou européens, en vinrent à porter des motifs typiquement autochtones. Les trafiquants auraient-ils servi d'intermédiaires entre les artistes indiens qui les auraient tracés, et les artisans occidentaux qui les auraient simplement reproduits sur les objets? Il se pourrait aussi que ces motifs décoratifs aient été ajoutés par les Indiens eux-mêmes, après que les traiteurs leur eurent remis les articles en argent. Une des plus anciennes observations scientifiques relate que les Iroquois avaient commencé, dès 1845, à travailler l'argent; ils auraient donc été en mesure de modifier les objets obtenus dans le cadre de leur commerce avec les Blancs. L'orfèvrerie indienne La mode européenne du castor en perte de vitesse, la diminution croissante du castor lui-même dans les forêts canadiennes, l'ouverture du Nord Ouest canadien au commerce de la fourrure, voilà autant de facteurs responsables du déclin de la traite dans la partie orientale du Canada. La fusion des compagnies de la Baie d'Hudson et du Nord-Ouest, vers 1822, mettant un terme à une concurrence souvent violente, la valeur des objets offerts en échange de la fourrure connut une baisse impressionnante. L'argent disparut comme objet d'échange dans la région des Grands Lacs et de l'Est canadien. Mais il avait eu le temps de s'intégrer au costume des Indiens de l'Est, et ceux-ci possédaient déjà les techniques occidentales de orfèvrerie. Dans son ouvrage League of the Ho-De-No Sau-Nee or Iroquois, Louis H. Morgan rapportait qu'on trouvait encore, en 1851, un orfèvre dans chaque village iroquois. C'est à partir de cette époque que l'artisanat autochtone se mit à décliner. Vers la fin du XIXe siècle, il ne restait guère que quelques vieux artisans. Quand ils furent morts, soit vers le début du XXe siècle, cette pratique iroquoise sembla disparaître. Les anciens ornements d'argent étaient encore portés lors des cérémonies, mais toute fabrication avait cessé. Les bijoux eux-mêmes se firent de plus en plus rares. Mais un orfèvre Onondaga de la Réserve des Six Nations, M. Arthur Powless, fait revivre de nos jours cet artisanat autochtone. Après s'être mis à l'étude des vieux motifs de l'époque de la traite des fourrures, il entreprit de fabriquer des broches et des pendentifs de type traditionnel. Ses méthodes empruntent évidemment beaucoup à la technologie moderne; le polissoir électrique a remplacé la peau de chamois et une drille électrique est employée pour la première taille des feuilles d'argent. Parmi les autres outils de M. Powless, on trouve une collection de limes et de ciseaux, un petit chalumeau pour souder, ainsi que divers produits chimiques pour la protection du métal. Ses bijoux diffèrent de ceux du XVIIIe siècle par la régularité de leur épaisseur, leur teneur en argent et le poinçon de l'artiste, une anguille. L'oeuvre de l'orfèvre iroquois contemporain témoigne à sa façon de l'extraordinaire fécondité des contacts culturels. Tandis que le métal, les techniques et, en certains cas, les formes furent apportées par les Européens, c'est à une origine autochtone que renvoient les motifs, les utilisations et les significations de cet argent de troc. Chaque bande, chaque broche nous rappelle l'impact de la civilisation indienne tant sur le contenu que sur la forme de ce phénomène qu'on appelle la traite des fourrures en Amérique du Nord.