Et le rapport précise, en citant Paul Ricoeur que ½la crise de croissance cache une crise de fonction, une crise de l'unité des intentions, une crise de l'idée et, ajouterions-nous, une crise des objectifs et du savoir. On n'insistera jamais assez pour dire que les objectifs actuels de l'université, son rôle et ses fonctions sont peu précis, mal définis et non adaptés aux défis des temps présents, à l'évolution de la société industrielle avancée, et aux exigences du savoir et de la connaissance.
Voilà qui traduit le coeur du problème de l'université, au début des années 1970, qui n'en était pas uniquement un de moyens insuffisants, mais bien d'identification claire et précise d'objectifs et de fonctions sociales qui auraient fait l'objet d'un certain consensus social. Les besoins de la société québécoise de l'époque avaient évolué, de nouveaux émergeaient à l'horizon avec une croissance importante des clientèles étudiantes, plus diversifiées.
Il ne s'agissait pas, cependant, de remettre en question les objectifs généraux de l'université, comme le souligne le rapport du Conseil, ni ses fonctions premières que sont l'enseignement, la recherche, et le service à la société qui en découle. Il s'agissait plutôt de revoir les objectifs spécifiques de chacune des universités pour les adapter, les renouveler au besoin, au nouveau contexte québécois. C'est ainsi que ½Dans cet esprit et sous réserve du caractère scientifique de l'institution universitaire, il est proposé que l'objectif majeur de l'enseignement universitaire québécois durant la prochaine décennie soit d'apporter une contribution significative au développement économique, social et culturel du Québec.╗
Le concept de développement devenait dès lors un concept clé dans la planification des sociétés occidentales et le système d'éducation, particulièrement l'enseignement supérieur, est devenu un facteur majeur, un instrument privilégié pour les gouvernements dans cette planification du développement, mais:
½Cette contribution au développement du Québec implique au départ une réflexion critique, et à cet égard les universités ont un rôle de premier plan à jouer, sur la nature même, les types et les orientations du développement (économique, social et culturel). Il en va de même à propos des conséquences immédiates et lointaines du développement, tant sur la collectivité et l'individu que sur le système naturel et l'environnement. Les universités doivent rappeler systématiquement et scientifiquement que la croissance n'est pas toujours synonyme de progrès et qu'elle n'a de raison d'être qu'en autant qu'elle vise le mieux-être de l'être humain.╗
Quelle université pour quel développement? Voilà une question qui a suscité maints débats et dont la réponse varie d'un pays à l'autre, d'une région à l'autre, sans pour autant que des éléments appropriés et significatifs en soient ressortis.
Le développement scientifique, le développement technologique, les développements socioéconomiques sont autant d'aspects de la croissance auxquels l'université doit à la fois contribuer et s'en détacher lorsqu'ils sont mal orientés. C'est là un défi qu'elle aura constamment à relever.
Mais il y a plusieurs conditions qui doivent être remplies pour que les universités puissent satisfaire ces objectifs majeurs de l'enseignement supérieur. Outre la nécessité d'assurer la plus haute qualité du savoir transmis et la qualité de la relation d'apprentissage, l'université doit pouvoir modifier substantiellement ses structures, les décloisonner au besoin (interdisciplinarité) et en plus, se détacher quelque peu de la science pour explorer d'autres modes de connaissance qui se développent ou qui ont été jusque-là ignorés.
Plus spécifiquement, toujours selon le rapport du Conseil des universités, les universités québécoises doivent étudier comment les ressources physiques du territoire peuvent être exploitées et contrôlées en fonction des besoins du Québec. Elles doivent aussi tenter d'apporter une contribution à la question de l'identité collective du Québec, au Canada et en Amérique du Nord. Mais surtout:
½Les universités doivent contribuer à la création d'un modèle de développement original et propre au Québec, conçu en fonction de ses besoins, de ses aspirations et de ses caractéristiques culturelles, et ce, par une production scientifique créatrice.En ce qui concerne tant le développement des universités que celui de la société, il faut éviter le piège des idéologies de rattrapage, c'est-à-dire éviter de toujours copier banalement ce qui se fait ailleurs. Il faut concevoir et créer son propre modèle en fonction des conditions objectives dans lesquelles on se trouve. La devise chinoise s'applique ici: proposer à chaque peuple de trouver sa voie par lui-même et de faire tout en son possible pour y avancer d'une manière aussi autonome que possible.╗
LÆuniversité du XXIe siècle fait face à la mondialisation du savoir et des formations par le biais des technologies de communication dont internet. La distance nÆa plus dÆimportance. Par ailleurs, bien quÆune université soit par définition une institution à caractère ½universel╗, la volonté de certaines dÆentre elles de sÆinsérer dans leur communauté régionale et dÆy jouer un rôle déterminant y est de plus en plus affirmée et agréée par la société québécoise.
Le développement de programmes ½phares╗ ou de créneaux dÆexcellence pour chaque université est devenu un moyen de se distinguer et dÆaccueillir des étudiants de partout dans le monde. Comme par exemple un groupe dÆétudiants chinois qui choisissent un programme de baccalauréat avec majeure de création en multimédia interactif au campus de Rouyn-Noranda de lÆUniversité du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Ce qui fait dire à Normand Thériault dans le cahier Éducation du journal Le Devoir (28-29 janvier 2006): ½Une nouvelle université prendrait donc place. Alors, au lieu dÆêtre un observatoire qui jette un regard distant sur la société qui lÆabrite, elle devient un acteur agissant défini par les besoins de tous, quÆils soient individuels ou collectifs╗.