Des enjeux de la professionnalisation

Comme nous venons de le voir, la professionnalisation est un processus lent et complexe dont l'analyse peut s'inspirer de nombreuses approches sociohistoriques, politiques ou autres. Il y a de nombreux enjeux plus ou moins explicites qui se retrouvent en filigrane de chacun des discours des intervenants du monde de l'éducation sur cette question. Un des premiers enjeux concerne le statut de ½professionnel╗ de l'enseignant. En effet, dans les sociétés occidentales en général, l'organisation des professions est telle que le statut de professionnel confère une reconnaissance sociale relativement importante qui entraîne à la fois des droits et des obligations, souvent même des privilèges, un niveau de revenus au-dessus de la moyenne, exige une formation universitaire supérieure et une autonomie importante dans l'exercice de la profession.

À la fin du siècle dernier, les enjeux autour du statut de professionnel, sur le plan économique, étaient plus ou moins importants, selon le cas. Au Québec, l'échelle salariale des enseignants a évolué sensiblement depuis la fin des années 1960 jusqu'au début des années 1980. Depuis ce temps, le contexte politique et économique a fait en sorte que la progression a été considérablement ralentie et, sous certains aspects, on peut même parler de régression. Les rapports syndicaux-patronaux ont joué de façon tangible sur cette question et les perspectives ne permettent pas beaucoup d'anticiper des changements majeurs à court terme. Est-ce que le fait de revendiquer (si tel était le cas) un statut de professionnel pour les enseignants, avec une reconnaissance officielle dans la société québécoise, viendrait modifier à la hausse à la fois les revendications syndicales et les offres patronales? Cela paraît une question purement hypothétique.

L'enjeu majeur semble plutôt se situer au niveau de l'autonomie professionnelle et de l'accès à la profession. Comme on l'a vu dans les caractéristiques, le professionnel est celui qui possède un haut degré d'autonomie dans l'exercice de sa profession, un sens des responsabilités et un code d'éthique. Traditionnellement, les revendications des associations professionnelles et des syndicats ont beaucoup porté sur ce degré d'autonomie et surtout sur le lieu d'exercice de celle-ci que constitue la classe. Toutefois, on ne peut regarder cet aspect que sous l'angle individuel, car il y a aussi la nature des rapports que doivent entretenir les enseignants avec les autres intervenants dans et autour de l'école, et la place qu'ils doivent occuper comme groupe à l'intérieur du système d'éducation. En général, au ministère, l'ensemble des énoncés de politique, depuis le début des années 1990, reconnaît et, dans quelques cas, fait la promotion d'une autonomie relative pour les enseignants.

Le cas de l'accès à la profession est quelque peu différent. En effet, dans le cas des professions dites ½libérales╗, c'est un ½ordre professionnel╗ (ou corporation professionnelle) qui gère habituellement les voies et les conditions d'entrée, quand ce n'est pas tout simplement le nombre de personnes qui peuvent exercer (dans le cas des médecins, par exemple). Au Québec, c'est le ministère de l'Éducation du Loisir et du Sport qui définit les filières de formation, énonce les orientations des programmes de formation des maîtres, régit l'octroi du permis d'enseigner et les conditions générales d'exercice de la profession, incluant les conditions salariales. Il est à la fois employeur et gardien des principaux paramètres de la profession; ce qui est une situation relativement unique par rapport aux autres professions. C'est donc dire que ce n'est pas la profession elle-même qui contrôle son exercice, mise à part bien sûr la CSQ et les fédérations des enseignants, qui représentent les enseignants pour la négociation des conditions générales des conventions collectives de travail. L'existence d'un ordre professionnel des enseignants aurait modifié le paysage québécois. Un ordre professionnel se serait vu confier plusieurs des prérogatives du MELS et serait devenu probablement le porte-parole des enseignants auprès de plusieurs organismes et lieux d'échanges, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur su système d'éducation. Mais lÆOffice des professions du Québec et le gouvernement en ont décidé autrement.



La CSQ s'était rapidement prononcée contre la création d'un ordre professionnel des enseignants et cela s'explique facilement, puisque c'est elle qui avait le plus à perdre dans cette éventualité. L'existence d'une seule instance syndicale pour les enseignants présente ici une problématique particulière en ce qui concerne la représentation du corps enseignant et la diversité des intérêts de ses membres. Historiquement, le fait de représenter auprès d'un employeur l'ensemble des travailleurs d'un domaine permet en général d'obtenir des conditions de travail intéressantes, mais ne rejoint pas toujours les situations plus particulières de plusieurs des membres de l'unité d'accréditation. Or, depuis 2006, la CSQ nÆest plus lÆunique représentante des enseignants depuis la création de la FAE. On peut sans aucun doute amorcer une discussion intéressante sur cette question.

Pour plus de renseignements sur les positions respectives de diverses associations, nous vous invitons à consulter les sites de la CSQ, du CPIQ, du COFPE et de lÆOPQ