Sur les Suggestions de Présentation de Barry X Ball

Jean-Pierre Criqui

L'histoire de l'usage de l'ordinateur par les artistes  à ne pas confondre avec celle d'un quelconque "art informatique"  devra un jour être écrite, et il ne fait pas de doute que Barry X Ball y tiendra une place particulière. Depuis 1990, celui-ci recourt en effet, pour la quasi-totalité de ses oeuvres, à un logiciel de dessin assisté par ordinateur lui permettant de mettre au point le "cahier des charges" qui préside à la réalisation de ses oeuvres. Cet ensemble de plans, diagrammes et instructions diverses, qui atteint parfois une cinquantaine de pages pour une seule et même pièce, marque la fin de la phase de conception : "l'extase (autrement dit, le travail conceptuel) est limitée aux débuts du processus de création", dit Ball la suite relevant de ce qu'il nomme "le 'supplice' de la fabrication", au cours duquel l'artiste lui-même, ses assistants et d'éventuels sous-traitants construiront avec la plus grande minutie les objets techniquement parfaits ainsi conçus. Ball use également de l'informatique afin de produire des sortes de "maquettes" à échelle 1/1 de ses oeuvres, en papier et en mylar, qui lui servent lors de l'accrochage de celles-ci à tester en toute facilité leur emplacement définitif, ou encore afin de contrôler certaines machines employées à l'ajustage de différents éléments. En réalité, l'ordinateur est omniprésent dans son travail, mais de façon pour ainsi dire imperceptible.

Le projet pour Tr@verses marque un premier pas en direction du virtuel. Les sept sculptures reproduites ici appartiennent à une série commencée en 1995 et actuellement en cours. Composées d'un ou deux blocs de matériau composite (corian ou surell), elles sont présentées en suspension sur des câbles métalliques. Leur structure invariablement bicolore résulte de l'assemblage, à la glu, d'autant de modules noirs ou blancs (cliquez si vous désirez en avoir une idée plus précise). Avec l'aide de deux informaticiens  Ruel Espejo et Sonya Allin  Barry X Ball les a insérées au sein de quelques lieux fameux de l'histoire de l'art européen, lieux dont il est assez peu probable qu'ils accueillent dans un avenir raisonnablement proche de semblables objets. Pour être des plus convaincantes, l'illusion n'en induit pas moins d'importantes distorsions d'échelle par rapport aux dimensions réelles des oeuvres et des espaces qu'elles occupent (Sculpture 2, par exemple, acquérant à l'intérieur du Panthéon un volume de loin supérieur au sien). Toujours en vue d'assurer aux images un impact maximum, toutes les sculptures ont ainsi fait l'objet d'un "nouveau rendu" par ordinateur, l'artiste les débarrassant à l'occasion de certains détails (c'est le cas de Sculpture 5, projetée dans la Bibliothèque Sixte Quint sans ses dentelures de cyanoacrylate). Le résultat a quelque chose de mystérieux, de futuriste et de légèrement humoristique à la fois (difficile, devant de telles rencontres, de ne pas songer au monolithe chu parmi le décor d'une chambre de style XVIIIe, à la fin de 2001, L'Odyssée de l'Espace). Il indique de surcroît une possibilité de variation intéressante sur le thème du musée fictif, cher à tant d'artistes de ce siècle.