Kevin Kelly, Out of Control

Amsterdam, Addison-Wesley, 1Φre Θd., 1994 ; 2e Θd., 1995

Kevin Kelly est l'ancien Θditeur de la Whole Earth Review, et l'Θditeur actuel de la trΦs cΘlΦbre revue Wired, la “nouvelle Bible de la technoculture”. Il a contribuΘ α lancer diverses innovations culturelles α usage des “cΓblΘs”, cybernautes et autres familiers des nΘorΘseaux [la confΘrence du “hacker”, la rΘunion internationale sur la rΘalitΘ virtuelle (Cyberthon), enfin le centre sur les super-autoroutes de l'information (the Well)]. Dans le prolongement de ces activitΘs, et sur la base de lectures, d'interviews, de conversations ou de correspondances avec une Θblouissante galaxie d'Θtoiles scientifiques anglaises ou amΘricaines (de Gell-Mann α Hopfield, en passant par Langton ou Holland, de von Foerster α Dennett ou Lovelock en passant par Gould ou Hillis), l'auteur nous introduit dans la civilisation future, civilisation “nΘo-biologique” en ce qu'elle aurait dΘpassΘ l'opposition simple de la Nature et de la technique, c'est-α-dire de ce qui est nΘ (natus, born) et de ce qui est construit ou fabriquΘ (made). Les deux concepts, selon l'auteur, dΘsormais se compΘnΦtrent (car la logique du Bios est importΘe dans les machines, tandis que celle du Technos investit dΘsormais la vie). Ainsi, nos objets fabriquΘs deviennent chaque jour plus organiques, plus vivants, tandis que la vie, corrΘlativement, nous apparaεt de plus en plus comme une hyper-ingΘnierie. D'o∙ un empiΘtement (overlap) rΘciproque de plus en plus important de la technologie et de la vie, et la prolifΘration de systΦmes mixtes, semi-vivants, que l'auteur nomme des “vivisystΦmes”, mΩme lorsqu'ils sont artificiels (pΩle-mΩle : systΦmes de tΘlΘphone planΘtaires, couveuses de virus Θlectroniques, prototypes de robots, mondes de rΘalitΘ virtuelle, personnages animΘs synthΘtisΘs sur ordinateur, Θcologies artificielles, modΦles informatiques de l'ensemble de la planΦte, etc.). Ces “vivisystΦmes” tenant du vivant, la Nature reste donc, pour l'auteur, la source principale (main), et probablement la source suprΩme (paramount), de leur comprΘhension. D'o∙ son intΘrΩt pour les assemblΘes ΘcosystΘmiques, la biologie de la rΘgΘnΘration, le repliement des coraux, le comportement des insectes sociaux (abeilles, fourmis) et les systΦmes complexes comme le projet Bio-sphΦre 2 en Arizona, o∙ le prologue du livre a ΘtΘ Θcrit. De l'Θtude des grands systΦmes technobiologiques, l'auteur a cru pouvoir tirer des principes unificateurs valables pour tous les grands “vivisystΦmes”, principes qu'il a appelΘs “les neufs lois de Dieu” (dans la nouvelle Bible, plus Θconome, le dΘcalogue est rΘduit α un “ennΘalogue” !). C'est que, au fil de nos rΘalisations technologiques sublimant la nature, nous retrouvons les principes fondamentaux qui prΘsident α toute crΘation d'un monde complexe. En particulier, nous nous trouvons confrontΘs α la nΘcessitΘ de crΘer des Ωtres qui nous Θchappent (parce qu'ils apprennent, s'adaptent, s'aguerrissent, Θvoluent). Ce faisant - et c'est peut-Ωtre lα la seule idΘe philosophique nouvelle du livre - aprΦs avoir souffert les malheurs de la crΘature, nous allons dΘsormais connaεtre les affres du crΘateur, condamnΘ α partager son pouvoir avec ses Ωtres les plus rΘussis et α abdiquer sa totale souverainetΘ sur tous ceux qui sont α son image. Peut-Ωtre comprendrons-nous ainsi (mais le livre ne va pas si loin !) α quoi tient le Mal ? De niveau accessible (cela ne veut pas forcΘment dire de lecture aisΘe), cet ouvrage journalistique de Kelly contient de nombreux exemples, ce qui en fait toute la richesse. Bien entendu, aucun auteur franτais n'y est citΘ (α part Bergson), alors que nombre d'idΘes prΘsentΘes se trouvent dΘjα - entre autres - chez Dagognet ou chez Rosnay par exemple. Cet ouvrage a aussi le dΘfaut d'Ωtre sans distance par rapport aux diffΘrentes versions de la science α la mode (vie artificielle, physique des particules, cosmologie quantique, etc.). Pour d'autres sons de cloche sur le sens de la technologie moderne, on pourra le confronter α J.-C. Beaune, Les Spectres mΘcaniques, Seyssel, France, Champ Vallon, 1988, et sur la philosophie cachΘe du projet “biosphΦre 2”, lui opposer L. Sfez, La SantΘ parfaite, Paris, Seuil, 1995.

Daniel Parrochia