Otto Dix
La Journaliste Sylvia Von Harden, 1926
Huile et tempera sur bois
121 x 89 cm
Achat, 1961
N░ d'inventaire : AM 3899 P


L'Θtude de ce cΘlΦbre portrait de 1926, trΦs souvent reproduit (couverture du catalogue Londres, 1978-1979), qui est la seule oeuvre du peintre (acquise de l'artiste en 1961) prΘsente dans les collections du MusΘe, nΘcessite un lΘger retour en arriΦre.
En 1925, deux faits importants de la vie personnelle de Dix ont eu, en effet, une incidence sur sa peinture : d'abord, son installation pour une pΘriode de deux ans α Berlin, qui, malgrΘ la guerre et les consΘquences dΘsastreuses de l'inflation, Θtait devenue, non seulement le centre spirituel, Θconomique et politique de la RΘpublique de Weimar, mais aussi un vΘritable carrefour artistique europΘen ; second fait important : son voyage en Italie grΓce auquel il put approfondir l'Θtude de la technique des peintres des 15e et 16e siΦcles, Θtude commencΘe pendant son sΘjour α Dⁿsseldorf, et qui lui permit d'Θlaborer - il aimait se dire alchimiste - une technique trΦs originale, α l'opposΘ de celle des impressionnistes et expressionnistes qui utilisaient des couleurs industrielles. Consistant en un mΘlange de tempera α l'oeuf et de peinture α l'huile, enrichie par d'innombrables couches de glacis transparents et semi-transparents, cette technique lui apportait les moyens d'obtenir une prΘcision extrΩme. Le support utilisΘ de prΘfΘrence α l'Θpoque Θtait le bois, remplaτant ainsi la toile lissΘe avec un enduit au plΓtre.
Il faut signaler enfin, toujours en 1925, l'exposition, d'un intΘrΩt capital pour l'Histoire de l'art, prΘparΘe depuis 1923 par G.F. Hartlaub alors directeur de la Kunsthalle de Mannheim : ce critique lucide, qui deviendra le grand thΘoricien de la peinture post-expressionniste, y montrait les nouvelles tendances nΘo-naturalistes ou nΘo-rΘalistes qui s'Θtaient dΘveloppΘes en Allemagne comme en Italie depuis 1919 sous le titre de Neue Sachlichkeit, groupant sous cette appellation les artistes allemands "ni abstraits d'une maniΦre expressionniste, ni superficiellement sensuels, ni des introvertis constructivistes". Dix, considΘrΘ par Hartlaub comme l'un des peintres les plus marquants (avec G. Grosz) de "l'aile gauche vΘriste" de la Nouvelle ObjectivitΘ, participa α cette importante manifestation. TΘmoins sceptiques de leur Θpoque qu'ils cherchent α peindre de la maniΦre la plus froide, sans sentimentalitΘ aucune, tous entendent "dΘchirer systΘmatiquement le voile mensonger de la beautΘ par des dissonances", se rΘfΘrant α la quotidiennetΘ et α la laideur, choisissant comme champ d'observation la ville, la mΘtropole avec ses contrastes excessifs et ses rΘalitΘs souvent crues.
Pendant son sΘjour berlinois, Dix peint une sΘrie de portraits tout α fait remarquables : celui du marchand de tableaux Flechtheim en 1926, du photographe Hugo Erfurth, du philosophe Max Scheler, plusieurs autoportraits et ce portrait "si dur, si objectif et en mΩme temps si terrifiant" de la journaliste du Berliner Tageblatt, Sylvia von Harden, de son vrai nom Sylvia Nehr (vers 1890-1963), dont il fit la connaissance au Romanische CafΘ, lieu de rencontre de l'intelligentsia artistique et littΘraire berlinoise.
Dix isole cet Ωtre ambigu dans un dΘcor prosa∩que - ou plut⌠t devant une absence de dΘcor - peint dans les tons de rouge les plus pervers. ParΘe des attributs de la femme ΘmancipΘe des annΘes 20 : coiffure α la garτonne, monocle, maquillage outrancier, cigarettes et boissons sophistiquΘes, Sylvia von Harden, "d'une beautΘ unique dans sa laideur", dΘvoilΘe et transposΘe par le regard mordant, ironique et humain de Dix, devient le symbole des aspirations d'une certaine couche de la sociΘtΘ de la RΘpublique de Weimar.

J. B.
Extrait de La Collection du MusΘe national d'art moderne, sous la direction d'AgnΦs de la Beaumelle et Nadine Pouillon, Editions du Centre Georges Pompidou, Paris, 1986.



collection d'art moderne musΘe Centre Georges Pompidou