Pablo Picasso
L'Aubade, 1942
Huile sur toile
195 x 265 cm
Don de l'artiste, 1947
N░ d'inventaire : AM 2730 P


ConsidΘrΘe α juste titre comme l'oeuvre maεtresse de l'Occupation, L'Aubade (Z. XII, 69) est, en rΘalitΘ, une version caricaturale du thΦme traditionnel de la sΘrΘnade. La composition s'inspire du tableau du Titien, VΘnus Θcoutant de la musique (Madrid, Prado) ; le thΦme des deux femmes dans un intΘrieur Θvoque Θgalement l'Odalisque α l'esclave d'Ingres (Fogg, Art Museum). Il existe pour cette oeuvre quelques dessins prΘparatoires (Z. XlI, 64-68) datΘs du 5 mai 1942, dans lesquels Picasso Θtudie successivement la position du nu sur un lit, la grille de l'espace, la tΩte de la femme assise, puis la mise en place de la composition finale. Une gouache antΘrieure (Z. XII, 3), de janvier 1942, prΘsente une premiΦre version, plus proche de l'Olympia de Manet, o∙ une jeune femme nue, allongΘe face α un miroir, est regardΘe par une autre femme debout tirant un rideau. Ce sujet s'inscrit, enfin, dans la thΘmatique personnelle de Picasso qu'il dΘveloppe sous diverses formes tout au long de son oeuvre : celui du veilleur et de la dormeuse, transposΘ parfois en veilleuse et dormeuse. La prΘsence de deux femmes dans sa vie α cette Θpoque, Dora Maar et Marie-ThΘrΦse, peut en partie rendre compte de la rΘapparition de ce motif, que Picasso poursuit dans de nombreux dessins la mΩme annΘe 1942 (Z. Xll. 187-197).

Mais ici, plus rien de l'atmosphΦre du harem. Les circonstances historiques, les horreurs de la guerre, la claustrophobie du couvre-feu confΦrent α cette Θtrange "aubade" une atmosphΦre d'enfermement et de cruautΘ. Les deux femmes se trouvent, en effet, prisonniΦres d'un espace α la fois dΘnudΘ et entiΦrement clos, enserrΘes dans un carcan de grilles formΘ par les rayures du parquet et du divan et par les lignes de fuite de la perspective. Les couleurs sombres, noir, gris, brun, sont ΘclairΘes par les accords stridents du violet et du vert. Le corps nu, boursouflΘ de la femme allongΘe, ΘtalΘ comme mort sur toutes ses faces, semble tordu, convulsionnΘ par l'espace dans lequel il s'insΦre. Les formes pointues, tranchantes, de la femme gardienne α la mandoline ajoutent α l'impression grinτante qui Θmane de la scΦne. "Je n'ai pas peint la guerre, disait Picasso, parce que je ne suis pas ce genre de peintre qui va comme un photographe α la quΩte d'un sujet. Mais il n'y a pas de doute que la guerre existe dans les tableaux que j'ai faits alors". C'est, en effet, par ces seuls moyens picturaux qu'il exprime la dΘtresse, la prison, la torture, dont il rΘsume le drame par des symboles : le cadre vide, en bas α gauche de la toile, Θvoque l'impossibilitΘ de peindre des images, et l'oiseau, dessinΘ de profil dans le ventre de la femme assise, l'espoir de libertΘ qui demeure en chacun.
M.-L. B.
Extrait de La Collection du MusΘe national d'art moderne, sous la direction d'AgnΦs de la Beaumelle et Nadine Pouillon, Paris, Editions du Centre Georges Pompidou, 1986.



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