Balthus
Alice, 1933
Huile sur toile
162,3 x 112 cm
Achat, 1995
N░ d'inventaire : AM 1995-205


Tout autant que les trois autres grandes toiles de Balthus, la Rue, la Toilette de Cathy et la "scandaleuse" Leτon de guitare (collection particuliΦre), avec lesquelles elle Θtait exposΘe α la Galerie Loeb en 1934, Alice peut Ωtre considΘrΘe comme inaugurale α l'oeuvre de Balthus : rΘalisation de jeunesse (marquΘe par son attachement aux contes merveilleux et Θtranges) mais dΘjα tableau majeur d'inspiration violente, pleinement moderne. Face aux "facilitΘs" du cubisme ou du surrΘalisme dΘnoncΘes par son ami Pierre-Jean Jouve, Balthus impose une peinture d'un rΘalisme brutal et d'une irrΘalitΘ quasi hallucinatoire : Alice surprise nue, dans sa toilette quotidienne, dans son cadre familier mais Θtrangement vide, comme enchΓssΘe ; Alice au corps solide, prΘcis, mais au regard livide, aveugle, comme hagarde. La scΦne toute entiΦre baigne dans une lumiΦre ambrΘe, phosphorescente, artificielle qui a la clartΘ aveuglante du rΩve, la splendeur grave d'un mystΦre feutrΘ : elle donne l'impression d'un "tableau vivant" et il n'est pas Θtonnant qu'Antonin Artaud (auteur du ThΘΓtre de la cruautΘ), en fut son premier commentateur (NRF, 1934) : "Balthus peint d'abord des lumiΦres et des formes. C'est par la lumiΦre d'un mur, d'un parquet, d'une chaise et d'un Θpiderme qu'il nous invite α entrer dans le mystΦre d'un corps pourvu d'un sexe qui se dΘtache avec toutes ses aspΘritΘs. Ce nu auquel je pense, a quelque chose de sec, de dur, d'exactement rempli et de cruel aussi, il faut le dire. Il invite α l'amour, mais ne dissimule pas ses dangers". La prΘcision, la sobriΘtΘ presque austΦre de l'image unifiΘe, saturΘe, par cette couleur α la fois chaude et Γcre, mettent en valeur la vibration de l'espace opΘrΘe par le double geste du bras et de la jambe, par la tension du corps lΘgΦrement arquΘ sur la chaise, comme cΘdant au poids du sein gauche trop lourd ; elle rend encore plus troublante la vie sombre de la chevelure offerte, du sexe et des ballerines... L'empire quasi obsessionnel, initiatique, presque mystique et morbide, exercΘ par cette effigie α l'inquiΘtante quotidiennetΘ sera amplement ressenti par Pierre-Jean Jouve, son propriΘtaire pendant plus de 20 ans, dans un texte bien connu (paru dans Proses en 1960) qui n'est pas sans Θvoquer le rΘcit des apparitions-disparitions de la Gradiva de Jensen.

Extrait d'un texte de prΘsentation d'AgnΦs de la Beaumelle.



collection d'art moderne musΘe Centre Georges Pompidou