Piet Mondrian
New York City I, 1942
Huile sur toile
119,3 x 114,2 cm
Achat de l'╔tat grΓce α un crΘdit spΘcial et au concours de la Scaler Foundation, 1983
N░ d'inventaire : AM 1984-352


Dans cette oeuvre essentielle, Mondrian se dΘfait tout "simplement" de la grille noire de sa pΘriode nΘo-plastique parisienne pour lui substituer une trame de couleurs primaires. Il tente mΩme de dΘfaire la notion de lignes, aprΦs que celles-ci ont fait disparaεtre la notion d'espace dans le plan. Car ce dont il est question, c'est bien de la couleur, de sa densitΘ et de son extraordinaire pouvoir de suggestion de la profondeur. Plut⌠t que de la neutraliser par moments dans la structure du dessin, elle devient seule productrice d'une construction plane de l'espace pictural.
"La pluralitΘ des formes variΘes et similaires annihile l'existence des formes en tant qu'entitΘs. Les formes similaires ne montrent pas de contrastes, mais sont en opposition Θquivalente" (A New Realism, New York, 1942).

Prenant en compte les valeurs que les couleurs instituent "naturellement", Mondrian semble poser dans un ordre trΦs classique sa trame jaune, puis rouge, puis bleue, la couleur la plus chaude et la plus irradiante au premier plan, la plus froide et la plus ΘloignΘe α l'arriΦre-plan dans l'espace du tableau. Si, au premier regard, cette superposition suggΦre effectivement, plus fortement encore, une sorte de profondeur - ce qui fait dire α Greenberg qu'"il s'agit maintenant d'une troisiΦme dimension strictement optique, strictement picturale" -, en rester lα serait l'aveu de l'Θchec de cette nouvelle dΘmarche de Mondrian. En rΘalitΘ, les diffΘrentes largeurs de lignes ne produisent plus d'oscillation optique car, prΘcisΘment, ces lignes sont indexΘes de valeurs identiques (pour la trame jaune) et en opposition (avec les autres couleurs). La deuxiΦme verticale jaune plus Θtroite ne peut plus "bouger", prise, d'une part, dans son propre rΘseau et en Θcart, d'autre part, avec les autres rΘseaux rouge et bleu. Par ailleurs, ce systΦme stable, semble-t-il, de superposition du jaune sur le rouge, puis du rouge sur le bleu, Mondrian ne manque pas de le dΘstabiliser, faisant passer α cinq reprises le rouge sur le jaune et α une reprise le bleu sur le jaune. Comme l'a dit Y. Alain Bois ("New York City I, 1942", Cahiers du MusΘe, numΘro 15, mars 1985), il y a chez Mondrian un subtil tressage qui "transforme un procΘdΘ de repoussoir (la superposition) en agent de planΘitΘ". Mondrian se sert de la couleur pour pervertir de l'intΘrieur le systΦme que la tradition avait instituΘ α partir d'elle. C'est un dΘtournement, un retournement de l'objet mΩme de la peinture, la couleur, sans plus avoir recours α la "facilitΘ" du dessin.

Est-ce α dire nΘanmoins que partant, non plus d'un constat a priori de la planΘitΘ du tableau, mais d'une volontΘ de la construire, Mondrian atteint α la planΘitΘ totale de l'espace pictural ? Celle-ci ne relΦve-t-elle pas encore, comme la profondeur, d'une mΘtaphore puisque poser une tache de couleur sur une toile, c'est commettre l'acte minimal qui chaque fois repousse la toile vers le "fond" ? En effet, dΘconstruire cette mΘtaphore qu'institue la couleur, c'est induire la respiration d'un tressage qui sans cesse creuse illusoirement l'espace pour interdire simultanΘment son approfondissement ; et cette perversion subtile du tressage ne prend sens que dans l'Θcart qui s'inscrit α partir de l'illusion effective d'une profondeur produite dans New York City I ; ce qui est reconnaεtre encore α la peinture un pouvoir "d'Θvocation" et ce rapport fondamentalement mΘtaphorique qu'elle entretient toujours avec l'espace, mΩme architectural ou sculptural.

L. L.
Extrait de La Collection du MusΘe national d'art moderne, sous la direction d'AgnΦs de la Beaumelle et Nadine Pouillon, Paris, Editions du Centre Georges Pompidou, 1986.



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