Max Ernst
Ubu Imperator, 1923
Huile sur toile
81 x 65 cm
Don de la Fondation pour la Recherche mΘdicale en hommage α Mme HΘlΦne Anavi, 1984
N░ d'inventaire : AM 1984-281


Cette peinture (Spies-Metken n░ 631), acquise par Paul Eluard avec les premiΦres grandes huiles conτues avant le dΘpart de Max Ernst pour Paris en ao√t 1922 - L'╔lΘphant CΘlΦbes et OEdipus Rex -, marque d'emblΘe l'entrΘe dans le champ du SurrΘalisme : elle illustre dΘjα avec Θclat la combinatoire savante, hΘritΘe du collage, d'ΘlΘments originellement hΘtΘrogΦnes qui, rΘunis, constituent une autre rΘalitΘ, celle-lα Θnigmatique, douΘe "d'une force de persuasion rigoureusement proportionnelle α la violence du choc initial qu'elle a produit" pour reprendre les termes de Breton.
Dans une perspective vide et solaire, de rΘsonance chiriquienne, est plantΘe, instable sur sa fine aiguille, une monumentale et Θtrange toupie humaine. Il s'agit ici d'une image, fort complexe, de dΘrision du pouvoir. Le PΦre Ubu, symbole grotesque de l'autoritΘ, est ridiculisΘ encore sous cette apparence de grosse carcasse α armatures, o∙ l'on a pu voir (S. Poley) la rΘsurgence - rΘsultat d'une de ces hallucinations cultivΘes par Max Ernst - d'une illustration par Mariette du processus du coulage en bronze de la statue Θquestre de Louis XV par Bouchardon. Le moulage armΘ, duquel s'Θchappent chevelure et membres humains, semble lui-mΩme s'animer, devenir un absurde robot.
Plus encore : sous ces dΘguisements proposΘs resurgit de l'enfance de Max Ernst une "vision de demi-sommeil", selon les termes mΩmes de la description qu'il en donnera dans La RΘvolution SurrΘaliste (n░ 9-10, 1927). Son pΦre s'y mΘtamorphosait progressivement en une toupie monumentale, en mΩme temps fouet-sexe et crayon : cette Θtrange image rΘapparaεt, illustrant presque textuellement le rΩve de Max Ernst, dans la premiΦre version, aujourd'hui disparue (Spies-Metken n░ 659), de Femme, vieillard et fleur de 1923 et dont le MOMA possΦde la deuxiΦme version, celle-lα "censurΘe" puisque la toupie y a disparu. Le contenu symbolique qui lui est attachΘ devait Ωtre, en effet, de taille : le prestige de l'autoritΘ paternelle et, avec lui, ceux de l'acte sexuel et de la crΘation picturale - intimement liΘs dans le fantasme de Max Ernst - s'Θvanouissent comme fumΘe dans ce jeu enfantin, vacillant et erratique. DerriΦre les bouffonneries des diffΘrents pouvoirs dΘsignΘs dans Ubu, c'est dΦs lors toute l'esthΘtique traditionnelle, celle de la construction rationnelle, de la perspective gΘomΘtrique, qui semble Θgalement tournΘe en dΘrision dans la toupie : son aiguille ne dessinera au sol que des lignes mΘcaniques au parcours fou, ondulatoire et alΘatoire.
Toute la pratique libΘratoire du dessin automatique, revendiquΘe par les surrΘalistes, est ici suggΘrΘe, comme, de faτon prΘmonitoire, l'invention plus tard par Max Ernst du "dripping" dont Le SurrΘalisme et la peinture (1942) dira toute l'importance. Ainsi, un an avant la parution du Manifeste du SurrΘalisme, Max Ernst semble apporter dans Ubu Imperator non seulement la dΘfinition des voies formelles dans lesquelles il s'engage - un processus complexe d'alchimie visuelle o∙ se superposent des symboles rΘsurgents -, mais surtout le sens de sa propre attitude devant l'acte de peindre, toute de distance et de dΘrision, qui commandera toute sa poΘtique.

A. L. B.
Extrait de La Collection du MusΘe national d'art moderne, sous la direction d'AgnΦs de la Beaumelle et Nadine Pouillon, Paris, Editions du Centre Georges Pompidou, 1986.



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