Jean Dubuffet
Dh⌠tel nuancΘ d'abricot, 1947
Huile sur toile
116 x 89 cm
Achat, avec participation 1981
N░ d'inventaire : AM 1981-501


Cette "entrΘe en matiΦre" comme la nomme superbement Max Loreau, se dΘveloppera trΦs rapidement par la mise en question du classique vΘhicule de la peinture - le mΘdium α l'huile - et l'introduction dans celui-ci des plus divers ingrΘdients (sable, plΓtre, poussiΦres de l'atelier...), voire par son rejet au profit de matΘriaux le plus souvent innommables Θvoquant "une boue gris sale de couleur indΘfinissable" ou "les vidanges d'huile des moteurs". Aux couleurs volontiers pimpantes des Marionnettes succΦdent "les registres monochromes" de Mirobolus, Macadam et Cie o∙ prennent naissance, en juillet 1945, les premiers portraits (ceux de Jean Paulhan), avant-dire de la sΘrie Plus beaux qu'ils croient pour laquelle, d'ao√t 1946 α septembre 1947, Dubuffet va tirer le portrait des peintres et Θcrivains qui gravitent autour de Florence Gould et de ses dΘjeuners littΘraires. CommencΘe par celui de Pierre Benoit, la sΘrie va rapidement se dΘpouiller de toute fidΘlitΘ naturaliste pour privilΘgier le caractΦre d'effigies magiques, de figures archΘtypales entΘes parfois d'un ou deux particularismes : bec de liΦvre, touffes de poils... Peint parmi les derniers de cette sΘrie, le portrait d'AndrΘ D'h⌠tel nuancΘ d'abricot (Loreau III, 155) est l'un des plus hallucinants par le surgissement, sous la cruautΘ de la vision, d'une qualitΘ de prΘsence envo√tante. A la maniΦre, en effet, des images de fΘticheurs, la figure y est reprΘsentΘe de faτon hΓtive, incisΘe dans la matiΦre du tableau (une huile Θpaissie de sable et de gravillons), plus proche des graffiti que du dessin naturaliste. La sauvagerie du trait, vΘritable scar de la surface, rend par contraste d'autant plus suave la couleur et, α travers elle, le souci pictural si particulier de l'artiste. Car par-delα leur prΘsence Θvocatoire, les Portraits sont d'abord, pour Dubuffet, faits de peinture. Ainsi qu'il le prΘcisera lui-mΩme : "Ces portraits Θtaient anti-psychologiques, anti-individualistes, nourris de cette idΘe qu'un qui veut peindre l'important n'a pas α tenir grand compte, mΩme dans un portrait, des futiles accidents - un visage plus gras, un nez plus court - qui peuvent faire diffΘrer une personne d'une autre, non plus que d'un caractΦre plus ou moins aigre ou plus ou moins enjouΘ". Dans ces Portraits, comme dans les figures indiffΘrenciΘes de Mirobolus compte, en rΘalitΘ, d'abord ce que Francis Ponge nomme "la rage de l'expression". "L'art doit naεtre, dit pour sa part Dubuffet, du matΘriau et de l'outil et doit garder la trace de l'outil et de la lutte de l'outil avec le matΘriau". Si la premiΦre exposition de Dubuffet suscita la controverse - quelques admirateurs fervents et bien plus de dΘtracteurs -, c'est avec la prΘsentation des figures de Mirobolus, puis des Portraits que la polΘmique atteignit sa plus grande amplitude, tant le tabou de la figure humaine reste puissant dans les civilisations occidentales.

D. A.
Extrait de La Collection du MusΘe national d'art moderne, sous la direction d'AgnΦs de la Beaumelle et Nadine Pouillon, Paris, Editions du Centre Georges Pompidou, 1986.



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