Casimir MalΘvitch
CarrΘ noir, vers 1923-1930
Huile sur plΓtre
36,7 x 36,7 x 9,2 cm
Don anonyme, 1978
N░ d'inventaire : AM 1978-631


"Je n'ai rien inventΘ, j'ai seulement senti la nuit en moi-mΩme et, en elle, j'ai entrevu la chose nouvelle que j'ai appelΘe suprΘmatisme. Cela s'est exprimΘ par une surface noire qui reprΘsentait un carrΘ... J'ai ΘtΘ moi-mΩme rempli d'une sorte de timiditΘ et j'ai hΘsitΘ jusqu'α l'angoisse quand il s'est agi de quitter le Monde de la volontΘ et la reprΘsentation (...). Mais le sentiment de satisfaction que j'Θprouvais pour la libΘration de l'objet me porte toujours plus loin dans le dΘsert, jusque-lα o∙ rien d'autre n'Θtait authentique que la seule sensibilitΘ et c'est ainsi que le sentiment devint l'essence de ma vie." (╔crits). C'est α l'annΘe 1913 que MalΘvitch fait remonter "le premier pas de la crΘation pure dans l'art", avec l'avΦnement du CarrΘ noir, "nouveau-nΘ vivant et majestueux", α l'occasion de l'opΘra cubo-futuriste de Matiouchine.

On connaεt trois exemplaires peints sur toile du CarrΘ noir. Le premier (116 x 116), conservΘ α la Galerie Tretiakov de Moscou, aurait ΘtΘ rΘalisΘ en 1915 pour l'exposition 0.10. Le MusΘe Russe de Leningrad possΦde les deux autres : l'un (110 x 110), signΘ par MalΘvitch mais vraisemblablement exΘcutΘ par trois de ses ΘlΦves, fut prΘsentΘ en 1924 α la Biennale de Venise ; l'autre (80 x 80), qui n'apparut au public pour la premiΦre fois qu'en 1979 (exposition Paris-Moscou, MNAM), aurait ΘtΘ rΘalisΘ en 1929 pour les musΘes soviΘtiques. Ces trois versions offrent des dissemblances notables, la proportion entre le blanc et le noir n'Θtant jamais la mΩme afin de mettre en valeur la tension existant entre la forme et le fond. Alors que la deuxiΦme, plus rigide que l'original, aux bords plus minces et plus rΘguliers, s'approche d'une figure gΘomΘtrique, la troisiΦme prΘsente une nette inclinaison des deux c⌠tΘs. L'exemplaire du CarrΘ noir appartenant au MusΘe, particulier puisqu'il est tridimensionnel, "masse de couleur transformΘe en surface-plan et en volume", apparaεt, avec sa bordure blanche qui s'amincit lΘgΦrement sur la gauche, plus proche de la version originale de 1915. Son support - un parallΘlΘpipΦde de plΓtre creux - le rapproche des architectones (avec lesquels il est arrivΘ au MusΘe), mais ses dimensions, relativement grandes, l'en sΘparent. Il reste difficile de saisir α quoi Θtait destinΘe cette version volumΘtrique et dans quel sens il convient de la prΘsenter, α plat ou plut⌠t α la verticale.

Perτu souvent comme une manifestation iconoclaste et nihiliste, le CarrΘ noir est pourtant conτu par MalΘvitch comme "l'Θtablissement de visions et de constructions du monde bien prΘcises" (SuprΘmatisme, 34 dessins, 1920) : forme premiΦre, unitΘ de base du systΦme suprΘmatiste dont dΘrivent toutes les "unitΘs" gΘomΘtriques et leurs combinaisons, comme le rectangle (voir les deux dessins sur papier quadrillΘ, Dame et Composition suprΘmatiste, vers 1915-1920, du MusΘe), il est le "signe de l'Θclipse des objets" au sein d'un systΦme plastique et philosophique o∙ la peinture perd dΘfinitivement son statut de reprΘsentation du monde sensible et devient le symbole de la seule rΘalitΘ, celle du monde sans objet. Le CarrΘ blanc, son aboutissement logique et radical (CarrΘ blanc sur fond blanc, 1918, New York, MOMA) constitue l'autre p⌠le du suprΘmatisme, terme absolu consacrant l'inanitΘ de toute reprΘsentation et l'abεme de l'Ωtre. "J'ai dΘbouchΘ dans le blanc, camarades aviateurs, voguez α ma suite dans l'abεme (...). Devant nous s'Θtend l'infini." (Le SuprΘmatisme, 1919). Abεme o∙ puiseront, α la suite d'Ad Reinhardt, les minimalistes amΘricains (encres de 1982, triangles, carrΘs, croix noirs sur fond clair de Sol LeWitt) et les thΘoriciens franτais de Supports-Surfaces qui se rΘclameront de la dΘmarche formaliste radicale de MalΘvitch, nΘgligeant la dimension spirituelle de celle-ci, aujourd'hui rΘΘvaluΘe.

B. L.
Extrait de La Collection du MusΘe national d'art moderne, sous la direction d'AgnΦs de la Beaumelle et Nadine Pouillon, Paris, Editions du Centre Georges Pompidou, 1986.



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