Vassily Kandinsky
Impression V (Parc), 1911
Huile sur toile
106 x 157,5 cm
Donation Nina Kandinsky, 1976
N░ d'inventaire : AM 1976-851


Ici, comme ailleurs semble-t-il, la thΘorie ne fournit qu'une douteuse introduction α la chose mΩme. Kandinsky, dans son premier livre thΘorique Du spirituel dans l'art, dΘfinit la catΘgorie de l'Impression - crΘΘe par lui, pour dΘsigner une sΘrie de six oeuvres, toutes peintes en 1911 et dont nous prΘsentons la cinquiΦme - comme couvrant des oeuvres dans lesquelles l'impression directe de la "nature extΘrieure" reste visible. Si, munis de ces critΦres, nous scrutons la surface peinte en zones colorΘes, vaguement dΘlimitΘes, ainsi que les traces d'un sΘisme noir qui la parcourent, nous ne comprenons pas, α moins que le sous-titre nous suffise qui nous rappelle "parc", sujet que Kandinsky a traitΘ avec prΘdilection au cours de ses migrations (en Russie α Akhtyrka, en France α Saint-Cloud, α Munich au Jardin Anglais). Cependant Kandinsky nous apprend dans une lettre α Jerome Eddy que "ses sous-titres ne sont pas lα pour dΘfinir le contenu du tableau. Le contenu est ce que le spectateur Θprouve sous l'effet des couleurs et des formes".

La forme et sa couleur, qui dominent et agencent ce tableau, est ce triangle vermillon, situΘ au centre de la composition. Dans son rΘsumΘ du tableau, reproduit ci-dessous, Gabriele Mⁿnter le dΘsigne d'ailleurs comme la caractΘristique dominante de l'oeuvre. Son sommet pointu se perdant dans les nuages, la base se confondant avec les couleurs de la "Vie mΘlangΘe", cette forme, qui revient dans nombre de tableaux de Kandinsky α l'Θpoque ("puissante comme une montagne parlante" est une formule heureuse de Jean Arp), peut aussi signifier une montagne, peut Ωtre interprΘtΘe comme symbole de l'Θlan de l'homme vers l'insondable au-delα.

Il existe pour ce tableau, peint un jour de mars 1911, un dessin prΘparatoire qui permet de "voir" autrement cette oeuvre pour laquelle Kandinsky semblait avoir eu une prΘfΘrence. Elle est reproduite (sous le titre : Impression IV) dans son livre Du spirituel dans l'art, publiΘ cette mΩme annΘe, pΘriode extrΩmement fΘconde en ce qui concerne la quantitΘ et la qualitΘ innovatrice des oeuvres ; riche aussi en ce qui concerne l'activitΘ d'organisateur et de thΘoricien du peintre. Elle figure Θgalement parmi les illustrations de l'album du Sturm, consacrΘ α Kandinsky en 1913, et elle se trouvait aussi parmi les oeuvres que les Franτais pouvaient voir au Salon des IndΘpendants α Paris en 1911.
Ce dessin prΘparatoire confirme une maniΦre de percevoir cette surface peinte qui est rigoureusement dΘcrite par Johannes Langner. Les lignes noires d'une grande spontanΘitΘ, tout α fait indΘpendantes du jeu des taches de couleurs vives α la lΘgΦretΘ de l'aquarelle, ces traces mnΘmoniques, "soulignΘes" qu'elles sont en quelque sorte par les traits α la mine de plomb de l'Θtude, peuvent se lire comme un paysage avec une ligne d'horizon rompue par une montagne, un couple de promeneurs flΓnant dans un parc, un autre personnage se reposant sur un banc et surtout, deux cavaliers traversant ce dΘcor de gauche α droite, une amazone prΘcΘdant lΘgΦrement le cavalier, le voile (attribut Biedermeier par excellence des amazones du milieu du 19e siΦcle) flottant gracieusement derriΦre elle. Ayant dΘvoilΘ de la sorte les rouages du regard portΘ par Kandinsky sur le monde et la restitution d'une "impression" reτue, ayant dΘmontrΘ, avec piΦces α l'appui, les traces de tout un hΘritage culturel et pictural.surgissant dans la conception de cette oeuvre, faut-il suivre J. Langner et douter de l'appartenance de l'oeuvre α la catΘgorie des Impressions, la dΘfinition de ce concept Θtant, depuis l'impressionnisme, "la reproduction d'un sujet tel qu'il se prΘsente au regard direct en un lieu et en un temps" ?

Deux rΘflexions s'imposent. Un regard absolu, tel que supposΘ dans la dΘfinition prΘcΘdente, est-il seulement concevable ? Une impression et la sensation correspondante peuvent-elles Ωtre saisies et reproduites dans leur puretΘ hors de l'atteinte de l'action concertΘe de la mΘmoire, de l'habitude, de l'entendement et de la raison ? Et puis, le phΘnomΦne de la perception ne doit-il pas Ωtre compris d'une maniΦre plus active, comme acte commun du sentant et du sensible, acte qui les confond et dans lequel l'un est modifiΘ par l'autre ? La configuration peinte par Kandinsky peut se lire justement comme un reflet de la complexitΘ extrΩme du phΘnomΦne de la perception, impossible α analyser α travers les concepts psychologiques traditionnels d'impression, sensation et expression. L'oeuvre, dont le premier acquΘreur fut Lothar Schreyer, rΘdacteur du pΘriodique Der Sturm α partir de 1916, fut rachetΘe ultΘrieurement par Mme Nina Kandinsky.

Extrait de Kandinsky, Oeuvres de Vassily Kandinsky, catalogue Θtabli par Christian Derouet et Jessica Boissel, ⌐ Centre Georges Pompidou, 1984



collection d'art moderne musΘe Centre Georges Pompidou