collection d'art moderne



Torture-Morte, 1959

Marcel Duchamp
Pied en plΓtre peint, mouches, montΘ sur papier, dans boεte verre et bois

29,5 x 13,4 x 10,3 cm
Dation, 1993

salle 22 : Duchamp, Man Ray
N░ d'inventaire : AM 1993-122

Ces deux objets-assemblages, parmi les derniers que Marcel Duchamp ait fabriquΘs, ont fait partie avec With my tongue in my cheek d'un envoi groupΘ de l'artiste, qui rΘsidait depuis avril α CadaquΦs, α son ami Robert Lebel, dont la monographie "Sur M. D." venait de paraεtre. Un envoi donc par la poste de boεtes en verre : boεtes α lettre alertes, missives lascives, messages-objets conτus α l'occasion d'Θditions ou d'expositions (comme AllΘgorie de genre de 1943 ou PriΦre de toucher de 1947, MusΘe national d'art moderne), ici signes de vie sarcastique d'un Marcel Duchamp absent de Paris au moment de la premiΦre exposition personnelle qui lui est consacrΘe, α Paris, α la librairie la Hune.

Comme les autres objets des annΘes 50, ils gravitent autour de sa deuxiΦme grande oeuvre, Etant donnΘs 1) la chute d'eau 2) le gaz d'Θclairage (Philadelphie), auquel Duchamp travaille en grand secret depuis 1946 et jusqu'en 1966, et dont ni Robert Lebel, ni Schwarz ne connaissaient alors le projet : ils participent pleinement de la problΘmatique de ce mystΘrieux environnement en trompe-l'oeil, de cette gigantesque nature morte en trois dimensions qui cΘlΦbre les noces d'Eros et de Thanatos.
C'est particuliΦrement au thΦme du naturalisme que se rattachent les deux objets de CadaquΦs : l'un, Torture morte, en plΓtre, moule-moulage du pied de Marcel Duchamp, peint en Rose pour accentuer encore l'effet de trompe-l'oeil (et signer en quelque sorte le pied), l'autre, Sculpture morte, une accumulation de petits massepains imitant des lΘgumes : trompe-l'oeil en trois dimensions anamorphique α la maniΦre d'Arcimboldo, trompe-go√t aussi puisque ces massepains sont en pΓte d'amande. Cette Sculpture morte est donc un dernier ready-made (radis-made), rectifiΘ et interprΘtΘ o∙ certains ont cru voir le portrait de profil d'un homme fumant le cigare (Marcel Duchamp lui-mΩme ?). Avec With my tongue in my cheek, qui est un portrait de Marcel Duchamp (dessinΘ et moulΘ en plΓtre), nous sommes donc en prΘsence de trois fac-similΘs de lui-mΩme, fragments mis en reliques sur un mode particuliΦrement sarcastique et noir, trois piΦces morbides de ce "jeu entre le je et le moi" qu'il a menΘ tout au long de sa vie, trois morceaux choisis du corps presque mort de Totor dΘjα en proie α la voracitΘ, ici des mouches, lα de gros insectes.

Si l'on songe, non seulement α l'intΘrΩt historique de ces piΦces d'un des fondateurs les plus importants de notre modernitΘ, mais aussi α la raretΘ des objets originaux de Marcel Duchamp (le MusΘe ne possΦde que l'AllΘgorie de Genre, 1943), l'entrΘe de ces deux assemblages tardifs dans les collections de l'Etat devient un ΘvΘnement exceptionnel. Reste le problΦme du caractΦre indissociable de ces trois objets rΘunis en un seul envoi. SΘparer ces deux-lα du troisiΦme - qui est assurΘment le plus important et le plus saisissant (le seul autoportrait "rΘaliste" de Marcel Duchamp) - ne serait-ce pas briser l'unitΘ d'un tout qu'un critique comme Georges Bauer n'hΘsite pas α comparer α un triptyque et mutiler sa comprΘhension et sa portΘe ?

Extrait d'un texte de prΘsentation d'AgnΦs de la Beaumelle



collection d'art moderne musΘe Centre Georges Pompidou