collection d'art moderne



Vitrail bleu pΓle, 1949

Henri Matisse
Panneau bipartite : papiers gouachΘs dΘcoupΘs sur kraft marouflΘ sur toile

509,80 x 252,30 cm
Don de Mme Jean Matisse et de M. GΘrard Matisse, 1982

salle 05 : Matisse (Chapelle de Vence)
N░ d'inventaire : AM 1982-109-1

Matisse a rΘdigΘ (ou dictΘ) un texte court, synthΘtique et trΦs clair sur son utilisation des papiers dΘcoupΘs : destinΘ au catalogue de l'exposition organisΘe au MusΘe national d'art moderne en 1949 par Jean Cassou, il a ΘtΘ effectivement publiΘ dans ce catalogue avec un certain nombre de modifications. Les Archives du MNAM en possΘdant le texte original, il nous paraεt utile de le citer ici car vraisemblablement rΘdigΘ dΘbut 1949, l'exposition s'Θtant ouverte en juin, il est trΦs exactement contemporain du travail de Matisse pour la Chapelle de Vence, qu'il situe prΘcisΘment dans la continuitΘ de sa recherche : "C'est pour le rideau du ballet ╔trange farandole que j'ai usΘ de papier dΘcoupΘ pour la premiΦre fois et ensuite pour des couvertures spΘciales pour des revues artistiques Verve et Cahiers d'Art.
Ensuite j'ai fait Jazz, trouvant intΘressant de faire naεtre en mΩme temps la couleur limitΘe par le contour, qui est son dessin spΘcial.
A la suite de Jazz j'ai couvert de 'papiers dΘcoupΘs' mes murs, sans autre but que l'Θtude, donc sans destination. Alors s'est prΘsentΘe pour moi l'occasion de dΘcorer entiΦrement l'intΘrieur d'une chapelle sur toutes ses surfaces : les murs, le sol et le plafond". Suit un dΘveloppement de Matisse sur les grands dessins au pinceau et α l'encre de Chine de 1948 qu'il conclut ainsi : "Le dessin est gΘnΘrateur de lumiΦre. C'est pourquoi dans la chapelle il y aura un c⌠tΘ, le vitrail lumineux et colorΘ, pour lequel m'ont servi mes Θtudes sur le papier dΘcoupΘ, opposΘ α un c⌠tΘ dΘcorΘ en noir et blanc".

Comme Jazz, livre construit sur les rapports de lumiΦre des pages colorΘes et des pages d'Θcriture noir sur blanc, la chapelle tirera donc sa lumiΦre non seulement des vitraux, mais des murs dessinΘs qui leur font face. De mΩme encore la version profane et privΘe de la Chapelle de Vence qu'est la salle α manger de TΘriade α Saint-Jean-Cap-Ferrat confronte le vif motif lumineux du vitrail aux poissons chinois avec le signe de l'arbre dΘployΘ en noir sur les carreaux blancs. Peut-Ωtre est-il utile de rappeler ces Θvidences, avant d'aborder l'Θtude de l'ensemble des maquettes pour Vence si gΘnΘreusement offert en 1982 par Madame Jean Matisse et par Monsieur GΘrard Matisse : dans la prΘsentation au musΘe fait dΘfaut l'autre qualitΘ de lumiΦre gΘnΘrΘe par le dessin, avec laquelle ils devaient nΘcessairement Ωtre confrontΘs.
On sait quel hasard presque ordinaire a mis en mouvement le projet dΘcoratif pour la chapelle, testament pictural et spirituel de Matisse : la jeune infirmiΦre qui l'avait soignΘ et qui avait posΘ pour lui α Nice en 1942-1943 devenue religieuse, la proximitΘ du foyer Lacordaire o∙ elle se trouvait en 1947 et de la villa Le RΩve o∙ Matisse s'Θtait installΘ en 1943, leurs conversations α propos de la nouvelle chapelle que souhaitaient Θdifier les soeurs dominicaines, l'intΘrΩt de Matisse pour les esquisses qu'elle lui prΘsente, et progressivement son propre investissement, sa dΘcision de rΘaliser, α lui seul, la dΘcoration de la chapelle, le dialogue qui s'engage alors avec deux dominicains intΘressΘs de prΦs α l'art contemporain : le frΦre Rayssiguier (qui proposera le schΘma architectural, demeurΘ trΦs modeste, de la petite chapelle) et le PΦre Couturier. Leur correspondance avec Matisse et les notes prises aprΦs leurs nombreuses visites α Vence forment le tΘmoignage le plus prΘcis et le plus passionnant sur la longue gestation (1948-1950) du chef-d'oeuvre de la vieillesse.
Matisse dut en effet s'y reprendre α trois fois : il existe trois maquettes, trois mises au point (dont deux α l'Θchelle rΘelle) pour les vitraux de la chapelle. Un premier projet, α demi-grandeur, Θtait prΩt dΦs juillet 1948, huit mois aprΦs la premiΦre et dΘcisive visite du frΦre Rayssiguier α Vence le 4 dΘcembre 1947. Sur sa suggestion, Matisse avait retenu un thΦme tirΘ de l'Apocalypse, une vision de la JΘrusalem cΘleste, espace abstrait pareil α un grand cristal.

Le grand vitrail (...), comme le projet pour les autres fenΩtres (dit Les Abeilles,) est construit sur une armature gΘomΘtrique : combinaison de grands aplats rectangulaires pour JΘrusalem cΘleste, dΘclinaison de petits carrΘs (Θvoquant un essaim, symbole de la vie communautaire) pour la colonnade. Ce parti relativement austΦre est soutenu par des couleurs trΦs vives et chaudes ; dans cette premiΦre version, les jaunes et surtout les rouges dominent. Cependant Matisse n'est pas satisfait : il a terminΘ ce premier projet α Paris, et deux semaines aprΦs son retour α Vence, fin octobre, il Θcrit au PΦre Couturier une lettre qui explicite les raisons de son malaise, et dΘjα sa dΘcision de recommencer.
"Vence le 14 novembre 1948
La grosse affaire est que le vitrail sur lequel j'ai passΘ mes vacances α Paris ne peut servir. En lui-mΩme je l'aime, mais par rapport α la chapelle il ne peut aller. L'architecture assez incertaine, ou plut⌠t devenue incertaine dΦs qu'il a fallu la rendre exΘcutable par les lumiΦres d'Auguste Perret m'a empΩchΘ de voir mon ensemble et je me suis ΘgarΘ.
Vous savez que j'ai ici une maquette de grandeur double de celle de Paris. Lorsque je suis entrΘ dans ma maison de Vence de retour de Paris, j'ai couru pour la voir - et j'ai trouvΘ que l'indication des vitraux, leurs proportions et les quelques couleurs que j'y avais portΘes faisaient un ensemble beaucoup plus satisfaisant que celui de Paris. Je savais α ce moment mΩme que je recommencerais... Il vous intΘressera de savoir que le vitrail de Paris comme il est composΘ donne trop d'importance α la partie de la chapelle rΘservΘe aux fidΦles. Dans le projet actuel la partie derriΦre les soeurs est divisΘe en 9 vitraux."

Extrait de Matisse, Oeuvres de Henri Matisse, catalogue Θtabli par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari, Claude Laugier, Paris, ⌐ Succession Matisse, ⌐ Editions du Centre Georges Pompidou, 1989.



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