By Claude Martin
Nous arrivons à la fin de ce qui sera sans doute l'une des plus terribles années de l'histoire — ou du moins du passé récent — en matière de conditions climatiques extrêmes : sécheresses, feux de forêts, ouragans dévastateurs et inondations meurtrières.
Gland, Suisse : Je n'oublierai jamais ce jour où, alors que je gravissais l'arrête nord-est de l'Eiger, dans ma Suisse natale, le temps changea brutalement, passant d'un soleil estival à une violente tempête de grêle et de neige.
Comment ne pas se souvenir d'un moment aussi terrifiant ? Le passage était devenu une véritable cascade de glace et une petite flamme bleue dansait au bout de mon piolet à chaque fois qu'un éclair frappait alentour. Il n'y a rien de plus effrayant que des conditions météorologiques imprévisibles.
Et, dans ce domaine, 1998 restera une année noire : des milliers de personnes ont été tuées et des centaines de milliers d'autres ont dû abandonner leur maison et lutter pour leur survie à cause de perturbations climatiques extrêmes.
Récemment, j'ai été interpellé par une remarquable photo prise au Bengladesh, en septembre, à la période des pluies, par un photographe de l'agence Keystone. On y voyait un jeune garçon au milieu d'une dramatique inondation. La légende de la photo indiquait que, malgré sa situation précaire, il avait été suffisamment altruiste pour sauver deux singes (des rhésus).
J'imagine que c'est la version en laquelle les défenseurs des animaux aimeraient croire. Un anthropologiste prétendra pour sa part que dans la mythologie hindoue, les singes sont des demi-dieux et qu'en les protégeant, le garçon a simplement voulu accroître ses chances de s'en sortir.
Et les protecteurs de la nature ne manqueront pas d'en relever l'extravagance : dans de nombreux villages, ces rhésus sont de véritables ravageurs. Ils détestent l'eau et auraient sauté sur n'importe quel objet flottant, un tronc d'arbre de préférence (bien qu'il y en ait peu au Bengladesh).
De plus en plus, les photographies déterminent notre perception du monde. Mais rares sont ceux qui réfléchissent aux différents visages qu'elles peuvent revêtir selon qui reçoit leur message. Chaque photo raconte une histoire, mais celle-ci n'est pas la même pour tout le monde.
Dans la culture occidentale, la photo du jeune Bengali contient ce facteur que l'on pourrait désigner par l'onomatopée « aaah ». Elle met en évidence ce sentiment vivifiant que l'on éprouve face à l'altruisme et à la relation que nous souhaiterions voir exister entre les hommes et les animaux. Les insoutenables images télévisées des coulées de boue dévastatrices au Honduras et au Nicaragua suscitent au contraire un élan de sympathie envers les populations de ces pays sinistrés, ainsi qu'une irrésistible envie de leur venir en aide.
Mais quel est le réel message de telles images ? Combien d'entre nous, en les voyant, réalisent-ils que nous arrivons à la fin de ce qui sera sans doute l'une des plus terribles années de l'histoire — ou du moins du passé récent — en matière de conditions climatiques extrêmes ? Ces images et ces photos font bel et bien partie d'une fresque beaucoup plus large, composée de sécheresses et de feux de forêts, d'ouragans furieux et d'inondations redoutables.
Et en toile de fond de cette fresque, on retrouve le processus inexorable du changement climatique, qui faisait bien des sceptiques il y a encore deux ans, notamment sur le rôle joué par la société humaine dans l'aggravation du phénomène.
La campagne du WWF sur le « Changement climatique », qui est arrivée au terme de sa phase initiale de trois ans en juin dernier, a largement permis d'attirer l'attention du public sur cette question. Plus important encore, elle a contribué à l'inclure dans l'agenda politique mondial, les gouvernements se penchant désormais sur les moyens de réduire les émissions de dioxyde de carbone qui affectent l'équilibre climatique et sur les coûts que cela implique.
Ainsi, un nouveau round de la conférence des Nations unies sur le changement climatique vient de prendre fin à Buenos Aires, en Argentine. Le but était d'échaffauder les prolongements pratiques du Protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement global. Il n'y a certes pas eu de répétition de la percée qui avait permis de produire toute une série d'objectifs au Japon l'année dernière, mais au moins le rendez-vous argentin a-t-il permis d'avancer plutôt que de reculer.
« Les gouvernements ont dépassé le stade des discussions sur les aspects scientifiques. C'est un bon point. Mais ils doivent encore progresser pour répondre aux craintes de l'opinion publique alors que les impacts du changement climatique deviennent de plus en plus visibles», estime la délégation du WWF à Buenos Aires.
L'un des problèmes qui se pose est que les gouvernements cherchent généralement le système le plus simple et le moins coûteux pour s'extraire des difficultés. C'est précisément là que les activités du WWF dans le domaine du climat se recoupent avec les efforts qu'il déploie pour la sauvegarde des forêts du monde.
En effet, certains pays voient dans les arbres un bon moyen de réduire leurs émissions de CO2, quand bien même il subsiste des incertitudes majeures sur la réelle capacité des forêts à absorber et stocker le gaz carbonique. En réalité, les écosystèmes forestiers qui subsistent aujourd'hui produisent probablement eux-mêmes davantage de CO2 qu'ils n'en recyclent, à cause des incendies et de la déforestation.
A nouveau, tout dépend de la façon dont on voit les choses. Le rapport entre les forêts et le changement climatique ne se limite pas à simplement considérer les arbres comme une échappatoire idéale aux obstacles liés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. On peut même affirmer que les forêts que nous cherchons à sauvegarder sont elles-mêmes victimes du réchauffement de la planète et de l'augmentation des sécheresses et des tornades qui va de pair. Et au cours des prochaines cinquante années, l'instabilité des conditions climatiques pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les dernières zones boisées du globe.
C'est pourquoi les équipes du WWF qui travaillent dans les domaines du climat et des forêts ont uni leurs forces. Nous, au moins, nous efforçons d'avoir une vue d'ensemble. Et nous espérons que d'autres feront de même.
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*Dr Claude Martin est directeur général du WWF International, à Gland, Suisse.