By Someshwar Singh
Ce n'est que récemment que la légine australe est devenue une espèce très prisée par l'industrie mondiale de la pêche. Et pourtant , elle est déjà au bord de l'extinction commerciale suite à une exploitation abusive, notamment de la part de pays qui se sont pourtant engagés à protéger les ressources marines.
Gland, Suisse : L'histoire se répète : une nouvelle espèce de poisson est sur le point de disparaître. Cette fois, il s'agit de la légine australe. Et pourtant cette espèce, pêchée jusqu'à 3 000 mètres de profondeur, n'a été découverte que récemment par l'industrie de la pêche.
Les mauvaises nouvelles concernant la légine australe ont été confirmées récemment à Hobart, en Australie, lors de la réunion de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR), qui regroupe 28 nations. Les données de l'industrie de la pêche indiquent qu'il n'est désormais plus viable commercialement de rechercher la légine australe dans l'Océan de l'Antarctique car ses stocks ont été sévèrement réduits par les pêcheurs illégaux.
L'année passée, le total des prises illicites de légines australes a dépassé celui des prises autorisées par la CCAMLR et les gouvernements. Les scientifiques prédisent que cette espèce sera éteinte sur le plan commercial dans les deux à trois prochaines années si rien n'est entrepris pour changer la situation actuelle.
« En l'espace de deux ans seulement, les pêcheurs sud-africains de légines australes ont été confrontés au déclin des effectifs de ce poisson, décimés par l'exploitation illégale qui sévit dans l'Océan Antarctique », confirme Margaret Moore, du WWF-Australie.
Pour elle, l'urgence du problème est bien réelle, les pêcheurs pirates se déplaçant rapidement des eaux sud-africaines vers celles de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.
La légine australe croît extrêmement lentement. Elle peut normalement vivre 50 ans et atteindre jusqu'à deux mètres de long, mais la plupart des spécimens attrapés aujourd'hui mesurent à peine la moitié. La tonne de légines australes se vendait encore 7 000 dollars US il y a trois ans. Désormais, avec les prises illégales inondant le marché, il faut diviser ce prix par deux.
La CCAMLR est sous pression. On lui demande de prendre des mesures exemplaires contre les pêcheurs illégaux. Mais, à l'instar de nombreuses autres instances internationales, elle fonctionne sur le mode du consensus et parmi les fraudeurs les plus avérés figurent la Norvège et le Chili, deux Etats membres.
Selon ISOFISH (International Southern Oceans Longline Fisheries Information Clearing House), l'île Maurice qui, elle, ne fait pas partie de la CCAMLR, joue un rôle majeur dans le commerce de la légine australe. Après avoir publié un rapport sur les activités illégales des pêcheurs norvégiens, ISOFISH s'apprête à dénoncer celles de leurs collègues chiliens, argentins et espagnols.
Le WWF et l'ASOC (Antarctic and Southern Ocean Coalition) attendaient de la CCAMLR qu'elle soutienne une initiative en trois volets visant à stopper la pêche illégale dans l'Océan Antarctique et dont les trois principales composantes étaient les suivantes : instauration d'un système de contrôle obligatoire des navires, interdiction de l'accès aux ports pour les bateaux pirates et boycott du commerce international des légines australes pêchées illégalement.
Mais la CCAMLR n'a pas répondu à cette attente. Pire, elle continue même à étendre les pêcheries pour la légine australe dans l'Océan Antarctique. Et les quotas pour les pêcheurs légaux seront encore et toujours attribués sur la présomption que les prises illégales seront rapidement stoppées. Le sort de ce poisson est désormais entre les mains de la Convention internationale sur le commerce des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES).
« Le total des prises illégales de légines australes équivaut à dix fois celui des prises légales », explique Michael Sutton, directeur de la campagne du WWF « Les mers en danger». « La situation est pire que nous l'imaginions. C'est devenu un cas d'école en même temps qu'un test pour la CCAMLR. Il est affligeant de constater que les gouvernements ont laissé passé une chance unique de sauver ce poisson de l'extinction commerciale », ajoute-t-il.
Pour le WWF, la légine australe et bien d'autres espèces avec elle continueront à décliner inexorablement — un déclin qui menace l'intégralité de l'environnement marin — tant que les flottes de pêche en haute mer et en eau profonde ne feront pas l'objet d'une réglementation internationale rigoureuse.
La solution pourrait passer par des contrôles plus efficaces directement dans les ports et sur les marchés, plutôt qu'en sillonnant des océans dont l'immensité rend même les flottes navales les plus puissantes incapables d'attraper les fraudeurs.
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*Someshwar Singh est chargé d'information au WWF International