By Lesa Griffith
Comme, dans certaines parties du monde, la surpêche conduit à des restrictions au niveau des quotas alloués, les flottes commerciales subventionnées par les gouvernements envahissent les eaux poissonneuses au large des côtes de l'Afrique de l'ouest. Pour l'écosystème marin et pour des pays comme la Mauritanie, c'est de mauvais augure.
Nouadhibou, Mauritanie : C'est un film d'horreur qui semble avoir été tourné à Nouadhibou, plus vieux port en eau profonde de Mauritanie. La baie est parsemée d'épaves, de bateaux rouillant sur le sable, alors que l'air charrie l'odeur infecte des poissons morts jonchant la plage. L'industrie mauritanienne de la pêche s'est développée il y a 25 ans, au moment où le marché du cuivre et du fer s'effondrait et qu'une terrible sécheresse ruinait l'agriculture, laissant le pays exsangue. Aujourd'hui, comme beaucoup d'autres, elle est à son tour en crise.
Au cours des 45 dernières années, environ 80 pour cent de tout le poisson pêché dans les eaux ouest-africaines l'a été par des flottes étrangères. Les nations côtières se sont partagé le reste. Et aujourd'hui, leur part devient même de plus en plus petite.
Depuis janvier, sept superchalutiers hollandais traînent leurs gigantesques filets dans les eaux mauritaniennes, entre Nouadhibou et Puerto Naos, principal port des îles Canaries. Des filets capables d'enfourner trois Statues de la Liberté couchées l'une derrière l'autre. En moins d'un mois, ces bateaux peuvent attraper 3 500 tonnes de poisson, repéré au moyen de technologies sophistiquées, et notamment par satellite.
Dans cette zone, qui est l'une des plus poissonneuses du globe, ce sont les sardines et les maquereaux que l'on recherche. Mais à Puerto de la Luz (îles Canaries), où la flotte est basée, on raconte qu'en moins de 20 jours, un seul chalutier peut ramener jusqu'à 72 tonnes de thon en prises accessoires.
Les bateaux appartiennent à «The Group», un conglomérat de quatre entreprises hollandaises qui construisent des chalutiers. Les restrictions en vigueur sur les quotas de pêche dans l'Union européenne et une tentative manquée de s'attaquer aux harengs des eaux américaines au large de la Nouvelle-Angleterre ont conduit la flotte du «Group» à acheter des permis de pêche mensuels à la Mauritanie.
S'ils ont les vaisseaux les plus impressionnants, les Hollandais ne sont pas les seuls à sillonner le secteur. Entre 1972 et 1991, les bateaux russes ont pêché 17,8 millions de tonnes de poisson dans les eaux mauritaniennes et sénégalaises. Et les quantités prélevées par le Japon, la Corée du Sud et l'Espagne ont également été très importantes. Ces flottes de pêche en haute mer sont largement subventionnées par les gouvernements mais personne ne prend la responsabilité de surveiller que les stocks de poissons dans lesquels elles puisent abondamment ne s'effondrent pas.
Le conglomérat veut maintenant construire des installations frigorifiques à Puerto de la Luz et a demandé un subside de plus de 30 millions de dollars US au gouvernement espagnol. Cette somme serait allouée par le biais de l'Instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP) de la Commission européenne, un fonds structurel destiné à la modernisation des flottes, des équipements portuaires et des industries de transformation et de commercialisation des produits dans les pays membres de l'Union européenne (UE).
Actuellement, six entreprises locales de transformation du poisson opèrent à Puerto de la Luz mais elles ne fonctionnent qu'à 40 pour cent de leur capacité; il est dès lors probable que le projet hollandais les oblige à fermer leurs portes. Lorenzo Olarte, vice-président du gouvernement des îles Canaries a déjà fait pression pour que l'essentiel des subventions accordées à l'archipel dans le cadre de l'IFOP aille au groupe hollandais, sous prétexte, selon lui, que cela créerait des emplois. Jusqu'ici, il n'a guère été entendu. En effet, Gabriel Mato, conseiller pour les questions relatives à la pêche dans les îles Canaries - et appuyé par le WWF et d'autres - a réussi à convaincre la Commission européenne d'attribuer son aide en priorité aux petits pêcheurs locaux. Olarte s'est néanmoins promis de trouver des fonds ailleurs.
Au cours des deux dernières années, le gouvernement a dépensé plus de 8 millions de dollars US pour soutenir la pêche artisanale des Canaries, avec le concours de l'UE. Soixante-dix nouveaux bateaux ont été mis en service.«Chacun de ces bateaux permet de faire vivre trois ou quatre familles. Mais la flotte hollandaise dépeuple les stocks de poisson; alors, l'entrepôt frigorifique pourra-t-il compenser les emplois qui seront perdus?», se demande un ancien membre du gouvernement.
La plupart des navires qui pêchent dans les eaux mauritaniennes le font légalement. En revanche, les moyens utilisés et les quantités de poisson prises restent largement incontrôlés. Même si les lieux de pêche sont soumis à des dispositions légales très précises quant au type et à la taille des espèces visées ainsi qu'aux caractéristiques du matériel utilisé, la Mauritanie ne dispose ni des moyens financiers ni du personnel nécessaire pour veiller à leur bonne application. Résultat: 600 000 tonnes de poisson ont transité par Puerto de la Luz en 1990, 300 000 tonnes seulement en 1997.
En Mauritanie, nation dont la moitié des revenus dépendent de la pêche, Mika Tiop, directeur adjoint du Centre national pour la recherche océanographique et la pêche, reconnaît qu'il est temps de procéder à une évaluation des stocks de poisson. Selon lui, ils sont encore bien fournis et, pour l'heure, les chalutiers n'interviennent pas dans les eaux où les petits pêcheurs locaux sont actifs.«Mais nous commençons à placer des observateurs sur les bateaux, car le poisson est primordial pour le pays», précise-t-il.
Jean Worns, un scientifique travaillant pour le compte du gouvernement français et conseiller du directeur du parc national mauritanien du Banc d'Arguin, est plus réservé:«Vu les permis négociés par l'UE pour ses flottes de pêche en haute mer, les contrôles doivent être rigoureux. Nous constatons que certaines espèces déclinent - le rouget barbet, par exemple - parce que les chalutiers se rapprochent de plus en plus près des côtes.»
Le Banc d'Arguin fait partie de la liste des Global 200, ces écosystèmes considérés par le WWF comme cruciaux pour la conservation de la biodiversité de la planète. De nombreuses espèces de poissons viennent y frayer. Mais son avenir dépend peut-être de la réalisation des installations frigorifiques projetées par«The Group». Car, en cas de construction de ces dernières, le conglomérat entend tripler sa flotte et la porter à 21 bateaux.
«Nous avons besoin de temps, afin de pouvoir expliquer le problème au public», conclut l'ancien membre du gouvernement des îles Canaries.
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*Lesa Griffith est journaliste indépendante. Elle est établie à New York.