Opinion: Une surprenante leçon française

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By Claude Martin
En France, la « bagnole » fait tellement partie du style de vie que la décision de décréter un jour sans voiture à Paris et dans 34 autres villes a été une totale surprise. D'autant plus que la population elle-même a, dans sa majorité, soutenu l'idée. Pour un environnementaliste, ce genre d'événement est une récompense appréciable.

Gland, Suisse: Je dois souvent répondre à des personnes qui me demandent si ce n'est pas frustrant d'être un professionnel de l'environnement. De devoir constamment - et parfois vainement - persuader le public de changer ses habitudes irrespectueuses et dangereuses pour l'environnement, par exemple. Ou encore d'accepter le fait que chaque année - ou presque - la planète et ses habitants sont confrontés à une nouvelle menace.

Je rétorque alors - et d'autres avec moi - qu'il faut effectivement être blindé pour faire ce métier, tout en ajoutant que les résultats positifs et les bonnes nouvelles ne sont pas si rares.

Et quand je réfléchis intensément sur ce qui nous pousse à nous casser les dents sur les murs bétonnés des comportements les plus irresponsables, des intérêts les plus vils et des préjugés les plus enracinés, j'arrive à la conclusion que c'est la curiosité qui nous motive, mes collègues et moi-même. Un insatiable désir de savoir ce qui va arriver.

Dans bien des cas, ce qui arrive alors n'est pas sensiblement différent de ce qui s'est déjà produit. Mais parfois, cette curiosité est récompensée par une bonne surprise: un acte de foi désintéressé ou un retournement de situation dans la compréhension des choses. La valeur de nos efforts et de nos campagnes s'en trouve aussitôt confirmée.

Il y a à peine un mois, par exemple, j'ai été stupéfait d'apprendre par les nouvelles que 35 villes françaises, dont Paris, participaient à une « journée sans voiture ». J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait d'un poisson d'avril, mais le calendrier l'indiquait formellement: on était bien le 22 septembre.

Et c'était bien de la France dont on parlait, un pays où la voiture - véritable symbole d'identité nationale - occupe une place prépondérante dans la vie de tous les jours. La France où l'on n'utilise que le terme « les environs » pour traduire « surroundings », qui signifie aussi environnement ou milieu en anglais, et où le terme « environnement » est à peine connu, sauf pour le ministère qui en porte le nom.

Je me souviens très bien de l'époque où la Suède et la Suisse venaient d'imposer le catalyseur pour toutes les nouvelles voitures en guise de mesure antipollution. C'était il y a douze ans. Ainsi, dans ces deux pays, les Renault importées de France étaient équipées du catalyseur, tandis qu'en France, les constructeurs nationaux s'empressaient d'informer leurs clients que cette nouvelle technologie n'était pas au point et de toute façon irréalisable pour des raisons économiques.

Une ligne de conduite qui a perduré sans soulever la moindre réaction du public français, apparemment satisfait du statu quo. J'avais donc de quoi être surpris à l'annonce d'une journée sans voiture dans les principales villes de l'Hexagone. Il y avait là un parfum d'Alice au pays des merveilles.

Et pourtant, c'était bel et bien la réalité. L'opération rencontra un franc succès comme en attesta le jour suivant un dossier spécial de quatre pages dans le très sérieux journal Le Monde, sans doute l'un des plus augustes d'Europe. « Y aura-t-il une vie dans les villes après la voiture? », demandait notamment un éditorialiste en soulignant que 60 pour cent des espaces publics parisiens sont réservés aux véhicules motorisés et que, dans ce domaine, la France est sur le point de rejoindre les Etats-Unis où l'on compte une voiture en moyenne pour deux habitants (y compris les enfants et les bébés).

A cette question, il répondait par l'affirmative en insistant sur la « mobilité paralysante », une nouvelle expression utilisée par un nombre croissant de personnes pour désigner la mainmise de l'automobile. Et d'évoquer le sentiment que le temps était venu de rendre aux habitants la ville et ses espaces que la sacro-sainte « bagnole » leur a enlevés.

Sur une autre page, un article décrivait les plans ambitieux qui existent pour réintroduire le tram dans la région parisienne. Il rappelait que, en 1921, celle-ci était sillonnée par un réseau de tramways de près de 1'000 kilomètres de long, démantelé petit à petit jusqu'à sa disparition en 1956.

Deux lignes ont été remises en service au début des années 90 et les autorités collaborent maintenant sur un projet de réinstallation de 200 kilomètres de rails qui va révolutionner les transports en banlieue.

Le Figaro, le quotidien le plus vendu du pays, dénonçait vertement le manque d'organisation et d'information qui avait entouré cette journée sans voiture mais rapportait que le trafic motorisé avait chuté de 20 pour cent dans la capitale et que 87 pour cent des Parisiens, selon un sondage réalisé pour la mairie, avaient approuvé cette initiative.

Le journal avait tiré en première page une superbe photo du fameux boulevard Saint-Michel, livré aux seuls cyclistes.

Si l'idée de s'attaquer aux problèmes de plus en plus sérieux générés par le trafic motorisé peut captiver l'attention de fans de la voiture comme les français, alors il y a de l'espoir pour tout le monde. Cette « journée sans voiture », pour symbolique et tardive qu'elle aura été, n'en a pas moins le mérite d'avoir existé et créé un précédent sur lequel il est possible de construire.

C'est souvent de cette manière que les choses réjouissantes se produisent dans la société. C'est aussi cela qui nous stimule dans notre croisade environnementale et nous incite à maintenir notre pression pour changer les attitudes face aux faits évidents qui viennent nous alarmer régulièrement.

Chaque moment d'euphorie renouvelle notre énergie et notre détermination à préparer le grand jour où l'autosatisfaction passera enfin sous le joug de la raison.

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